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félicité ? Oh ! Faustus, laisse ces questions frivoles, qui frappent de terreur mon âme défaillante !


Que nous voilà loin de Lily et près, non seulement de Shakspeare, mais de Milton ! L’étrange mélancolie, et bien humaine, que celle de ce diable à qui Faust demande quel intérêt il trouve à gagner des âmes et qui répond par le vers fameux :


Solamen miseris socios habuisse doloris !


C’est un pauvre démon tout triste, et presque honteux, qui n’a de commun que le nom avec le personnage de Goethe, et si malheureux, à tout prendre, que nous oublions de le maudire. Il n’a ni sarcasmes ni orgueil. C’est un vaincu et un découragé.

Faustus n’est guère plus heureux. Dans ces vingt-quatre années de voluptés qu’il a achetées de son âme, il ne trouve que de rares heures de félicité. A vrai dire, il n’en est qu’une où cette félicité soit digne de lui. C’est, on s’en souvient, l’évocation d’Hélène. L’enchanteresse paraît, et il s’écrie :


Voilà donc le visage pour qui furent lancés mille vaisseaux, — et brûlées les tours d’Ilion, qui se perdaient dans les nuées ! — Douce Hélène, qu’un baiser de toi me rende immortel ! — Ses lèvres aspirent mon âme : voyez où elle s’envole ! — Viens, Hélène, viens, rends-moi mon âme ! — C’est ici que je demeurerai : car le ciel est dans ces lèvres, — et tout ce qui n’est pas Hélène n’est que misère et rebut. — Je serai Pâris, et pour l’amour de toi, — au lieu de Troie, je saccagerai Wittemberg ; — je combattrai le faible Ménélas, — et porterai tes couleurs sur mon cimier orné de plumes. — Oui, je blesserai Achille au talon, — puis je reviendrai vers Hélène quêter un baiser. — Oh ! tu es plus belle que l’air du soir, — revêtu de la beauté de mille étoiles ; — tu es plus brillante que Jupiter, quand en flammes, — il apparut à la malheureuse Sémélé ; — plus charmante que le monarque du ciel, — dans les bras azurés de la voluptueuse Aréthuse, — et nulle autre que toi ne sera ma bien-aimée !


Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il y a peu de passages de ce ton. Ce bonheur est fugitif, et cet enivrement est court. Rien n’est plus misérable et plus mesquin que la prétendue grandeur de ce docteur Faustus ; rien n’est plus « moral ; » c’est une démonstration pleine d’humour, mais sans gaîté, du néant de nos plaisirs. Quelle ironie dans ces joies enfantines, dans ces farces, dans ces pageants, dans ces moines battus, dans ce soufflet donné à un pape, dans