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dans le train ordinaire des choses, et dévoué, prêt au sacrifice à ses momens. Au reste, on abuse du mot égoïsme, l’égoïste n’est pas nécessairement méchant. L’homme moyen ne veut de mal à personne, il est seulement indifférent ; il ne pense pas aux autres, voilà tout. A chaque occasion, c’est le Moi qui se présente en premier, et dans un grand nombre de cas, la Nature exige qu’on le satisfasse. L’homme ordinaire fera du bien à son prochain, s’il n’en résulte pour lui ni privation, ni souffrance. L’homme supérieur fera davantage… mais en cela l’école politico-sociale n’a absolument rien inventé, et ses « unités, » ses « sujets économiques » (manières de dire : les individus) ne sont pas meilleures que les « économies privées » (autre manière de dire : individus) des autres pays. La substitution d’un mot à un autre, et le remplacement d’un terme concret par une expression abstraite, ne constitue pas un progrès.

Jusqu’à présent, malgré les belles pages qu’elle a écrites en faveur des classes inférieures, l’école politico-sociale n’a pas encore fait hausser les salaires d’un centime. Or il ne semble pas possible d’augmenter les jouissances des ouvriers autrement qu’en élevant leurs revenus, car : pas d’argent, pas de jouissances. Nous ne sommes pas surpris de l’insuccès des partisans de la Socialpolilik, ils ont entrepris une chose qui est au-dessus de leurs forces, le taux des salaires ne dépendant ni des phrases que de savans professeurs peuvent mettre dans leurs livres, ni des prescriptions des gouvernemens les plus puissans, ni même toujours, et cela paraîtra plus étonnant encore, de la volonté soit des patrons, soit des ouvriers. Ce sont, d’une part, la consommation, et de l’autre, la concurrence internationale qui gouvernent les prix et par eux, au moins partiellement, les salaires. Les actions et réactions qui s’opèrent sur le marché universel, et même sur des marchés spéciaux, suivent des lois sur lesquelles les hommes n’ont qu’une influence limitée.

Nous venons de prononcer le mot loi, loi économique, loi naturelle ; l’admission ou le rejet des lois économiques est un des points qui distinguent le mieux l’école politico-sociale de l’école classique : celle-ci les admet, l’autre les rejette. En effet, les réformateurs ne peuvent pas admettre les lois économiques, car, s’il y a des lois, il faut qu’eux-mêmes les respectent, leur action s’en trouve limitée, et peut-être même à peu près annulée.

L’argument principal mis en avant par les adversaires des lois (même par ceux qui ne croient pas à cette liberté), c’est la liberté humaine. Ils prétendent que, s’il y a des lois naturelles, il n’y a pas de liberté. Nous avons réfuté ailleurs et plus à fond cet argument