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spécieux, ici nous devons être court. L’homme est libre, cela est vrai, nous en avons l’intime conviction, mais l’est-il d’une manière absolue ? Il faudrait qu’il fût un pur esprit pour l’être ; mais on sait que l’homme a un corps, et que ce corps n’obéit pas toujours à l’esprit, sans doute parce qu’il est soumis à ses propres lois. Ne nommons que deux de ces lois : 1° il faut que l’homme se nourrisse ; 2° l’homme craint la douleur et aime le plaisir. Au fond, l’esprit lui sert principalement pour procurer au corps ces deux ordres de satisfactions : l’entretien de la vie, les choses agréables. Et comme ces satisfactions sont obtenues par l’action intelligente de l’homme sur les forces de la nature, il est évident qu’il doit connaître les lois naturelles dont il a besoin, et c’est en suivant ces lois, et en mettant en œuvre les forces qu’elles gouvernent, qu’il fait travailler la nature à son profit. On objectera que la liberté ne s’applique pas aux choses matérielles, mais à la volonté ; si quelqu’un se trouve en présence du bien et du mal, que ce mal moral lui soit physiquement agréable, tandis que le bien moral se trouve lui être désagréable, cet homme ne choisira le bien que si sa volonté est complètement libre. Nous sommes d’accord, nous ne doutons pas, encore une fois, de la liberté morale de l’homme normal, car il faut faire abstraction des malades, des infirmes, des ivrognes et peut-être des gens passionnés ; seulement cette liberté aura-t-elle à s’exercer sur le domaine économique ? Nous en doutons, et nous allons donner nos raisons.

Rendons-nous bien compte de la nature et de l’étendue du domaine économique. La production y entre tout entière, et la production, c’est l’homme agissant sur la nature, non-seulement conformément à ses lois à elle, mais aussi conformément à ses lois à lui. C’est parce que l’homme est très sensible à la peine et au plaisir que la loi fondamentale de l’économie politique se formule ainsi : Obtenir, au moindre effort, le plus grand résultat possible. Aussi, un homme raisonnable n’entreprendra aucun travail avant de savoir si sa peine trouvera une compensation. On voit que les lois économiques influent sur les décisions du producteur. Du reste, quand l’homme est obligé de semer sur une bonne terre et non sur du sable ou des pierres, sous peine de ne rien récolter ; quand, pour faire des tissus, il lui faut du fil ; quand, pour établir un produit quelconque, il lui faut les matières premières, lesquelles doivent subir certaines manipulations sous peine d’insuccès ; quand, pour vendre, le commerçant est obligé d’avoir des marchandises qui conviennent au consommateur et ne dépassent pas le prix que ce dernier peut ou veut y mettre ; quand dans les opérations économiques il y a tant de conditions nécessaires