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servez habituellement ne peuvent pas servir en même temps à un autre. Vous êtes préfet de tel département, colonel de tel régiment, chef de tel bureau, marchand dans telle rue et à tel numéro, vous êtes assis sur telle chaise aux Champs-Elysées pour regarder les passans,.. où vous êtes, un autre ne peut pas se mettre avant de vous avoir chassé de la place qu’il convoite. Ce qui est curieux, c’est de voir des gens qui veulent bien que vous récoltiez les produits du sol que vous cultivez, mais qui n’admettent pas que votre fils vous succède. Plutôt tout autre homme que votre fils ! En entendant exprimer de telles idées et les qualifier de justes, on ne croit plus aux progrès de l’intelligence ni à ceux du sentiment moral.


III

Le commerce remonte au commencement des temps historiques. Joseph fut vendu à une caravane qui passait, et l’on voit bien que ce n’était pas la première. Chez les Grecs et les Romains, le commerce avait son dieu aussi bien que la guerre. On ne s’étonnera pas que sur une aussi vieille chose on n’ait presque rien dit de nouveau, surtout depuis Adam Smith. L’auteur de la Richesse des nations savait déjà que le commerce extérieur n’est pas fait pour attirer de l’argent dans un pays, mais pour échanger le superflu des produits indigènes contre les denrées des autres contrées qu’on ne peut pas produire soi-même, et l’on n’y a rien ajouté depuis. La théorie n’a d’ailleurs pas beaucoup d’influence en ces matières, les intérêts mettent une vive ardeur dans leur défense et se placent à des points de vue étroits. C’est ce qui a permis au protectionnisme de gagner du terrain. C’est le contraire d’un progrès.

On a, dans ces derniers temps, porté un peu plus en avant l’étude sur les effets comparés du commerce en gros et du commerce en détail. C’était dans un esprit défavorable à ce dernier. On lui reprochait d’occuper plus de monde qu’il n’est nécessaire, et surtout de renchérir les produits pour les petites bourses. Une enquête a démontré que ces reproches sont exagérés, qu’il peut y avoir quelques abus, mais que le détaillant rend service précisément aux petites bourses, en vendant à ses cliens par minimes quantités les denrées qu’ils ne pourraient acheter en gros, et qu’ils ne sauraient d’ailleurs assez bien ménager, car la science du ménage est plus rare qu’on ne croit. Dans l’intérêt des ouvriers et surtout de celles de leurs femmes qui vont au travail, il est utile que les magasins de détail ne soient pas trop rares. (Rapport de M. le professeur J. Conrad.)