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Le succès du commerce se rattache généralement aux services qu’il rend ; l’histoire de la spéculation nous en fournit plus d’un exemple. La spéculation, dans son acception scientifique, est la prévision de l’avenir, la prévision active, celle qui prend des mesures pour satisfaire les besoins menacés, pour faire cesser les privations, mesures qui peuvent être inspirées par l’intérêt personnel, mais qui ne procurent un profit que si elles favorisent en même temps l’intérêt général. La nécessité de cette coïncidence des intérêts a été prouvée par de nombreux faits ; la science d’ailleurs a toujours soutenu que les spéculations qui consistent en de grands accaparemens de produits ne peuvent pas réussir ; aucun capitaliste, aucune société même n’est assez riche pour vaincre toutes les forces contraires. Mais, nous l’avons dit, dans les affaires on n’écoute pas la théorie ; l’ardeur du gain, qui devient une passion chez certains individus, surtout s’il s’y mêle l’excitation de l’aléa, du jeu, fait toujours renaître ces mêmes genres d’affaires ; des hommes très intelligens et très entendus se laissent tenter et naturellement succombent comme les autres.

La monnaie, sans dater d’une époque aussi reculée que le commerce, a bien ses deux mille cinq cents ans derrière elle, âge respectable qui a permis aux hommes de l’étudier à fond. Eschyle savait déjà que la mauvaise monnaie chasse la bonne ; depuis lors l’humanité a pu apprendre que les gouvernemens sont impuissans à altérer la monnaie parce qu’ils ne peuvent pas forcer le public à accepter A grammes pour la valeur de 5 grammes, — ils l’ont tenté souvent, mais ils n’y ont jamais réussi. On apprit aussi à connaître l’influence de la rareté et de l’abondance des métaux précieux, et on a fait plus d’une autre expérience, de sorte qu’on pouvait croire qu’après Adam Smith, il n’en restait plus à faire. Mais on s’était trompé ; la dépréciation de l’argent date d’hier, elle a commencé trois quarts de siècle après la mort du fondateur de la science économique, et le mouvement créé par ce fait n’a pas encore abouti ; nous sommes en plein dans l’évolution. Aussi deux opinions sont en présence, l’une veut qu’on s’en tienne à l’or (monométallistes), l’autre désire qu’on fasse les plus grands efforts pour rétablir la valeur de l’argent et qu’on maintienne en circulation les deux métaux (bimétallistes). Les monométallistes sont d’avis qu’il n’y a pour toute chose qu’une mesure, un mètre, un litre, et, par conséquent, un étalon. Ils peuvent s’appuyer sur ce fait, que jamais le double étalon n’a pu se maintenir ; dans les pays où il existait légalement, les deux étalons fonctionnaient alternativement, et alors c’était le métal le moins cher qui circulait dans le pays et c’était l’autre qu’on exportait. Les bimétallistes soutiennent que, si les gouvernemens voulaient