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pas tarder longtemps, les cordonniers, — et toutes les professions, — seront revenus à leur point de départ : les salaires (prix du travail) se seront accrus, mais les prix de tous les objets de consommation aussi, et tous les efforts, toutes les grèves, toutes les agitations n’auront abouti qu’à déprécier la monnaie : avec une pièce de 5 francs on se procurera moins de jouissances après qu’avant la hausse des salaires ; 6 francs ne rendront plus que les services de 5 francs. On voit que tous les prix se tiennent plus ou moins étroitement, et que pour obtenir un résultat, c’est plutôt sur soi-même, sur le perfectionnement de ses procédés techniques, sur la bonne conduite de son ménage, que sur les autres, sur les gains apparens, qu’il faut compter.

Il n’est guère possible de signaler un progrès sérieux dans les doctrines en ce qui concerne les prix. Certains auteurs ont cru perfectionner la théorie des prix en multipliant les subdivisions, en y faisant entrer les prix fixés par l’autorité, comme la taxe du pain et celle des voitures, ou aussi les prix dits de charité ou de sentiment, qui ne sont que des aumônes à peine déguisées ; on a même expressément cité les prix de fantaisie donnés dans une vente de charité par un homme du monde à une belle dame pour un petit produit de ses doigts de fée. Mais toutes ces classifications ne peuvent faire qu’une vente de charité soit un marché commercial.


IV

La répartition distribue la valeur du produit entre tous ceux qui, entrepreneur et ouvrier, capitaliste et propriétaire, ont collaboré à la production. A chacun sa part. Mais qui la fixera ? L’école classique, pleine de foi dans la force des choses, dans l’action des lois économiques, enseignait que chacun revendiquerait sa part et l’obtiendrait, car les rapports économiques entre les hommes sont une série de conventions, et de même qu’une main lave l’autre, les hommes ont besoin les uns des autres, ils sont forcés de s’entendre, et ils transigent pour se mettre d’accord. L’école politico-sociale n’a aucune confiance dans l’action de la nature des choses, elle attribue à l’administration une certaine infaillibilité et voudrait formuler des règlemens qui assurent à chacun sa quote-part du produit commun. Mais comment y parvenir, puisque les services rendus à la production sont de nature différente, puisqu’ils sont incommensurables, n’ont pas de mesure commune[1] ? L’école

  1. Combien vaut l’heure de travail ? Quelque chiffre qu’on mette, il sera arbitraire ; l’heure ne vaut pas nécessairement 1 franc, ni 2 francs, ni 0 fr. 50, ni une somme quelconque. Il faut une convention pour que le prix soit admis des deux côtés.