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dépend du prix des produits ; pour qu’un entrepreneur forme un atelier, il faut qu’il prévoie qu’avec les salaires actuels il pourra vendre aux prix courans ; sinon, il ne fera pas travailler ou ne pourra qu’offrir un salaire moindre, sauf s’il possède un meilleur procédé de fabrication. C’est le prix de l’objet de consommation qui fait loi et non le caprice des hommes.

Toutefois, si le taux des salaires est gouverné par les circonstances, il reste des moyens de les améliorer et de les rendre plus efficaces. Le premier consiste à empêcher certains abus qui résultent de la vente aux ouvriers, et surtout à crédit, par le patron, de certaines denrées ou autres objets dont ils peuvent avoir besoin (Truck system) ; les salaires doivent être payés en numéraire et à de courts intervalles. Le second consiste à multiplier le travail à la tâche en rendant autant que possible le salaire dépendant du prix de la marchandise sur le marché, du produit achevé. Cet usage (de rendre le salaire dépendant du prix) est assez répandu dans quelques industries anglaises ; il est seulement à craindre qu’il ne puisse pas se généraliser. Le troisième moyen dépend uniquement de l’ouvrier et de sa femme, et consiste à bien calculer leurs dépenses. Ajoutons que quelques économistes allemands semblent assez disposés à conférer à l’état des attributions de surveillance sur les salaires, proposition que nous n’avons pas enregistrée parmi les progrès de la doctrine économique ; l’intervention de l’état relativement au taux des salaires ne se comprend que si on lui attribue en même temps un droit de surveillance sur les dépenses des ouvriers ; chaque ménage ouvrier aurait alors à soumettre son budget à M. l’inspecteur. C’est un régime qui ressemble assez au communisme.

La question ouvrière, personne ne l’ignore, a été employée comme moyen d’agitation. Lassalle, qui, un des premiers, a usé de ce moyen, a inventé la loi d’airain, dont il a souvent été question, mais qu’on n’a pas toujours su réfuter. Lassalle se sert d’un passage de Ricardo en le violentant un peu et termine ainsi : « La limitation du salaire moyen aux subsistances que les habitudes populaires ont rendu indispensables à l’existence de l’ouvrier et de sa famille, voilà, je le répète, la cruelle loi d’airain qui règle aujourd’hui les salaires. » Pour que le lecteur puisse juger par lui-même, nous allons reproduire le passage de Ricardo que Lassalle commente :


Le prix courant du travail est le prix que reçoit réellement l’ouvrier, d’après les rapports de l’offre et de la demande, le travail étant cher quand les bras sont rares, et à bon marché quand ils abondent. Quelque