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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/952

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il exprimait ses ardentes sympathies pour l’héroïsme de notre armée. Cette lettre, à l’insu de Barbés bien entendu, avait passé sous les yeux de l’empereur Napoléon III, qui aussitôt faisait mettre le prisonnier en liberté. La république aurait l’étrange fortune d’être moins libérale que l’empereur en retenant en prison un jeune prince qui n’a commis d’autre « crime » que « d’aimer son pays, » d’avoir voulu le servir comme simple soldat ? Et à quoi cela peut-il servir ? M. le duc d’Orléans est venu en jeune homme sensible à un devoir de patriotisme, impatient de prendre rang parmi les deux cent mille conscrits de sa classe, de se retrouver sous le drapeau de la France ; on en a fait, on en ferait bien plus encore par des rigueurs imméritées, un personnage qui a déjà sa légende, qui est comme une image vivante de la jeunesse de France. De toute façon on s’est donc créé des embarras entre lesquels on n’a que le choix, et le pire des partis serait encore d’ajouter à ces embarras d’une situation délicate par une obstination de représaille qui, en grandissant un prince au cœur généreux, ne ferait qu’entretenir et envenimer les divisions.

Rien de tout cela ne serait arrivé si on avait su se décider, agir à propos, et si on n’a pas su se décider à propos, c’est qu’il n’y a ni une idée directrice ni une force morale de gouvernement. Depuis plus de quatre mois, depuis que le pays a laissé voir si distinctement, par les élections, ses vœux de paix intérieure et de travail pratique, on en est à chercher un équilibre toujours fuyant, une façon de stabilité dans l’équivoque. On vit au jour le jour, sans autre préoccupation apparente que d’éviter les résolutions décisives, de pallier les contradictions, de ménager les partis les plus opposés, de tracer des programmes le plus souvent démentis par les actions. Il n’y a pas si longtemps, — pas plus tard que dimanche passé, — M. le président du conseil Tirard et M. le ministre de l’intérieur Constans, pour démentir des bruits un moment assez accrédités de mésintelligences ministérielles, ont tenu à aller ensemble présider à l’inauguration d’une bourse de commerce au Mans. Naturellement, les discours ont été de la fête. M. le ministre de l’intérieur a parlé de « la paix nécessaire et du travail, » et M. le président du conseil, à son tour, a saisi l’occasion de reproduire son programme. Il ne s’est pas borné à rassurer les bons habitans du Mans qui auraient pu entendre parler de dissentimens ministériels, en leur déclarant que le cabinet avait la meilleure intention de vivre ; il leur a confié ses projets, promettant à tous les « garanties d’ordre et de paix sociale » par une « politique conservatrice et progressive, » répudiant les « utopies dangereuses et les rêves irréalisables. » Il n’a point hésité à déclarer que le gouvernement républicain ne repoussait le concours de personne, qu’il ne reniait aucune des gloires du passé, qu’il saluerait avec joie le jour où tous les Français seraient réconciliés, au plus grand avantage de la France et de la république. Bref, l’apaisement est