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l’éternel mot d’ordre, comme les réformes pratiques, qu’on promet toujours d’accomplir. Voilà qui est au mieux ! Malheureusement, au même instant où M. le président du conseil prétendait prêcher l’apaisement, écarter les « questions irritantes, » il se hâtait de déclarer fièrement que les républicains « n’entendaient rien désavouer de ce qui s’est fait dans les dix dernières années. » M. le président du conseil Tirard est vraiment un rare et précieux conciliateur. Il veut concilier la paix et la guerre, tranquilliser les consciences en les laissant gouverner, aujourd’hui comme hier, par l’esprit de secte, ramener l’ordre en maintenant tout ce qui a créé le désordre.

Au fond c’est là toute la question. M. le président du conseil Tirard n’y prend pas garde ; mais c’est précisément cette politique revendiquée et avouée par lui, qui a semé le trouble et les divisions partout, qui, en suscitant un mécontentement universel, a préparé cette crise de l’an dernier où tout a failli sombrer, et les institutions et la dignité avec la liberté de la France. C’est ce qu’il veut continuer ou ce qu’il refuse de désavouer pour ne pas trop se brouiller avec le radicalisme. Et qu’on le remarque bien : cette politique, elle n’a pas seulement atteint profondément la vie civile, morale, religieuse, administrative du pays ; elle a eu son contrecoup dans les finances, qui, selon un mot récent de M. Buffet, ne sont pas sans doute irréparablement perdues, mais qui pourraient être sérieusement compromises si l’on continuait.

C’est en effet un des plus curieux phénomènes de ce règne de dix ans que cette aggravation progressive d’une situation financière qui avait été si habilement, si puissamment relevée et raffermie après la redoutable épreuve de la guerre. Tous les artifices n’y peuvent rien changer : le fait subsiste, et ce fait c’est l’accroissement démesuré du budget. Il est certain que depuis dix ans on s’est accoutumé à traiter les finances avec une dangereuse liberté, comme si les ressources de la France étaient inépuisables, que les plus simples garanties n’ont pas été toujours respectées, que l’art d’engager ou de déguiser les dépenses a été singulièrement perfectionné. Il le faut bien pour que ces jours passés encore une commission de la chambre et une commission des finances du Sénat se soient successivement émues de la manière dont leur arrivaient des crédits supplémentaires ou additionnels ; mais ce qu’il y a de plus frappant, de plus caractéristique peut-être, c’est ce qu’on pourrait appeler l’invasion de l’inconnu dans le budget sous l’apparence de prétendues réformes qu’on se hâte de décréter sans savoir quelles dépenses en résulteront, si on a les ressources nécessaires pour face à ces dépenses. C’est ce qui est arrivé pour toutes ces lois de parti votées depuis quelques années, les lois scolaires, la loi militaire. S’est-on préoccupé de ce qu’elles coûteront ? Nullement ; on a voté, à la veille du scrutin de septembre, la loi sur le traitement des instituteurs, la loi militaire des trois ans de service dans un intérêt de