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s’ils pourront, en tant que chrétiens, continuer à porter des culottes (femoralia) pareilles à celles de leurs grands-pères.

Notez que le christianisme a été dès l’origine une religion triste, une religion d’hommes mûrs et désabusés. C’était la foi d’une société qui avait largement joui de la vie à l’époque de son adolescence, et qui, lasse de ses débordemens, dégoûtée de tout, même du nectar des anciens dieux, se repliait sur elle-même pour faire son examen de conscience, après avoir abdiqué le gouvernement du monde entre les mains d’un maître. Est-il prudent de communiquer aux enfans, sans précaution, les fruits amers de l’expérience ? N’est-ce pas un lieu-commun de la sagesse humaine qu’il faut respecter les illusions de cet âge, frêle enveloppe qui retarde et protège l’éclosion des idées ? Heureux les peuples robustes et simples ! Dans leur enfance insouciante, ils ont pu goûter la saveur des mythes ensoleillés qui poussent à travers champs. Leurs conceptions naturelles et vivantes n’ont pas été étouffées d’ans l’œuf par le voisinage d’un culte supérieur, mais sombre et subtil. Qui peut dire quelle fleur de poésie se fût épanouie parmi les peuples slaves, s’ils avaient eu le loisir de déployer leur génie propre avant d’entrer dans le christianisme ? Quels aspects nouveaux du monde, quel sens plus intime de la nature ondoyante et fuyante, auraient pris corps dans ces dieux trop vite proscrits qui n’étaient ni grecs, ni romains, ni défigurés par les vieux moules classiques, dans ces Willis qui dansent sur le sommet des montagnes, dans les Judes, filles des rivières, ou dans le dieu suprême, père du soleil, vague et indéterminé comme le ciel lui-même ? Tout cet Olympe barbare a péri de mort violente, ou revit à l’état d’amusement littéraire. Ce sont des métaphores, des fantômes qui s’évanouissent en fumée comme les notes légères d’un scherzo de Mendelssohn. En attendant, les peuples de la péninsule, marqués au front d’une maturité précoce, n’ont pas eu d’enfance, et c’est peut-être la cause principale de leur incurable mélancolie. Tandis que les autres peuples chantent longtemps avant d’écrire ; tandis que la jeunesse des Grecs fut bercée par la sérénité harmonieuse des poèmes homériques, les Bulgares et les Serbes grandirent en pleine scolastique. Leurs premiers jouets furent les écrits d’un Clément, d’un Constantin le Pannonique, d’un Jean l’exarque, d’un moine Chraber et autres abstracteurs de quintessence. Un de leurs historiens remarque qu’ils ont l’imagination froide. Je le crois bien ! on se refroidirait à moins. Cela rond indulgent pour les Bulgares modernes. Leur caractère de paysans processifs s’est formé dans ces âges lointains.

Les peuples de la péninsule seraient morts d’ennui, ou de