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une expérience sans précédent. C’est une chose absolument nouvelle, dans l’histoire politique, qu’une république parlementaire. Est-ce une chose viable ? — et si elle peut vivre, n’est-ce pas à force de sagesse, de ménagemens, d’hygiène, c’est-à-dire avec un régime essentiellement différent de celui qu’on lui a fait suivre ? Combien de temps pourrait-elle résister aux imprudences des hommes qui, s’abusant sur sa force, ne se font pas scrupule de jouer avec sa vie ? Il n’a fallu au gouvernement de la gauche que dix ans pour aboutir au boulangisme. Si la majorité persiste dans les mêmes erremens, combien d’années lui faudra-t-il pour nous ramener au pied de la dictature ?


IV

Le pays, aujourd’hui, ne regarde ni si loin ni si haut. Il vient de traverser une crise ; il a la lassitude qui suit la fièvre ; il a, par-dessus tout, besoin de repos. A ceux qui gouvernent, il ne demande que de l’apaisement. Chacun le sent, tout le monde le répète ; au lendemain des élections, l’apaisement était sur presque toutes les bouches ; et, après six mois, nous en cherchons vainement les marques. Et cependant, combien il serait aisé d’en donner le signal ! Ce que pourraient faire les républicains, un homme qui a donné des gages à la république, l’esprit le plus ouvert et peut-être le plus vraiment politique de la majorité, M. Léon Say, l’indiquait, il y a quelques semaines, dans un discours familier. Elles se présentent d’elles-mêmes, les mesures d’apaisement auxquelles ne s’oppose que le fanatisme sectaire. Pour faire montre de tendances pacificatrices, il ne serait même pas toujours nécessaire de changer les lois, cela est manifestement au-dessus de l’intelligence ou du courage de la chambre ; il suffirait d’en modifier l’application. Est-ce ce qu’ont fait les ministres ? Est-ce ce que leur souffle la majorité ? A-t-on renoncé à expulser les sœurs des hôpitaux, ou suspendu la laïcisation des écoles ? Le clergé a-t-il cessé d’être en butte aux tracasseries, et les curés ne sont-ils plus exposés à se voir frustrer de leur modeste traitement par oukase administratif ? Non que je sache. L’inepte et dispendieuse laïcisation suit son cours, à l’hôpital aussi bien qu’à l’école ; nous sommes trop riches pour accepter les dévoûmens gratuits. Chaque chef-lieu de canton a son officine de délateurs ; et M. le ministre des cultes nous a, lui-même, appris que, au 1er janvier 1890, il y avait 300 curés privés de leur traitement, soit trois ou quatre fois plus qu’au 1er janvier 1889. Ne voilà-t-il pas une manière bizarre de pratiquer l’apaisement ? C’est,