Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire que de reprocher aux conservateurs libéraux de n’avoir pas su arborer la cocarde républicaine. Dans les deux camps, il est oiseux de toujours mettre en avant ces questions d’étiquettes qui sont les questions qui divisent. Leur importance est peut-être, en réalité, plus théorique que pratique. L’avenir de la république ne dépend pas de l’adhésion de tel ou tel groupe ; il dépend de sa sagesse, et de son bonheur. L’empire est tombé, quelques mois après un plébiscite où il avait été sanctionné par plus de millions de suffrages que n’en a jamais recueillis la république. L’unanimité apparente de la nation peut être, pour un gouvernement, autant un péril qu’une force, parce qu’elle est une tentation. Cela est surtout vrai des démocraties, si facilement infatuées d’elles-mêmes ; le jour le plus dangereux pour la république sera celui où elle croira, de nouveau, pouvoir tout se permettre.

Pour se convaincre que les questions d’étiquettes n’ont pas, dans notre politique, toute l’importance qu’on leur attribue vulgairement, il suffit de se reporter aux dernières élections. Nous avons vu des candidats de droite s’affubler du titre de républicains ralliés. On sait comment cette qualification a été accueillie des républicains de profession ; ils l’ont prise comme une profanation du nom de république. A la chambre même, quelques députés, pour la plupart d’origine bonapartiste, ont paru enclins à s’intituler républicains plébiscitaires. Quel gré leur en sait la gauche ? Des plébiscitaires, dit-on, ne sont pas des républicains ; mais naturellement, si la droite se déclarait républicaine, sa république ne serait pas celle de la gauche. Les questions de forme ou d’organisation gouvernementale ne seraient même pas tranchées par là, car il y a bien des sortes de républiques ; les républicains ne seraient pas contenus par la droite, qu’on les verrait vite aux prises, entre eux, sur les questions de constitution et de révision.

Autre remarque : il s’est trouvé des conservateurs, dans la presse religieuse, pour engager la droite à laisser de côté la question de monarchie et de république, lui conseillant de subordonner la politique à la religion, pour former, à l’instar de la Belgique et de l’Allemagne, un parti catholique. La gauche, si prompte à dénoncer la théocratie, verrait-elle là un progrès ? Peut-être, parce que, vis-à-vis du suffrage universel, ce serait le plus sûr moyen de compromettre la droite. Où serait, en tout cas, l’avantage pour la France ? Un parti purement confessionnel ne servirait ni l’Église, qui ne doit point être impliquée dans les luttes électorales, ni le pays, qui n’a pas besoin de voir les querelles politiques s’aigrir et se passionner encore. Par bonheur pour la France et pour la religion, ce parti catholique, ou comme eussent voulu quelques isolés, ce parti républicain-catholique est mort-né.