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Qu’on y réfléchisse ; on se convaincra que les conditions de la lutte, dans le pays et dans le parlement, que les attaques et les suspicions de la gauche, non moins que les préventions d’une partie de la société, ne laissent à la droite guère de choix ; que le nom de conservateurs est encore, par son vague même, celui qui a le moins d’inconvéniens, qui doit le moins diviser les droites et le moins offusquer les gauches. Il n’a rien d’illégal, rien de factieux, rien de belliqueux, ce vieux nom de conservateur ; il est pacifique ; il n’implique aucune velléité de révolution ; il ne préjuge même point la forme de gouvernement ; il se prête à toutes les évolutions et les transactions que peut réclamer l’intérêt du pays. Tout ce que la gauche doit demander à la droite, c’est de le justifier.


VI

La France est en république ; elle y est de par un enchaînement de faits et de circonstances indépendant de nos antipathies ou de nos sympathies. Elle est, aujourd’hui, vouée à la république, ou, si vous aimez mieux, elle y est condamnée ; quant aux résultats, c’est tout un. Est-ce à perpétuité ? Imprudent qui l’affirmerait, mais plus téméraire encore qui annoncerait qu’elle en doit sortir à brève échéance. Les monarchistes, de sentiment ou de raison, ne sont pas tenus, pour cela, de dire raca à la monarchie. La monarchie est, pour la France, une ressource suprême en des crises que nous ne pouvons, que nous ne devons point souhaiter, mais contre lesquelles aucun paratonnerre ne garantit notre démocratie ; une ressource pour des périls, du dedans ou du dehors, qu’il serait impie d’appeler sur la France, mais qu’il ne dépend point de nous d’écarter de sa tête, et que les fautes mêmes de la république peuvent, malgré nous, attirer sur le pays. Selon le mot d’un vieux républicain de mes amis, les princes d’Orléans restent, pour la France, un en-cas, qu’elle peut être heureuse de retrouver un jour. On l’a senti à son émotion devant la généreuse témérité du jeune prince que nos gouvernails n’osent renvoyer à l’exil.

Telle est la vérité, pour tout esprit dégagé des superstitions monarchiques ou républicaines. La république est le fait, elle existe, et la politique doit, avant tout, compter avec les faits et avec le présent. Les conservateurs ne sauraient se soustraire à cette nécessité, sans cesser d’être des politiques. Ils doivent laisser l’intransigeance aux sectaires d’extrême gauche. Pour cela, il n’est besoin d’adopter aucun article du Syllabus néo-républicain. Il suffit d’appuyer ce qui semble utile, de combattre ce qui est mauvais, en regardant les lois et non les mains qui les présentent. Si le bien