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mieux, j’oserai dire qu’elle ne sera hors de question que lorsqu’elle aura été gouvernée par des conservateurs, comme en Angleterre la maison de Hanovre n’a été définitivement assise que lorsque le pouvoir eut été exercé par les tories. Affirmer qu’en France, aujourd’hui, l’arrivée au pouvoir des conservateurs est impossible sans péril pour la république, c’est reconnaître que la république n’est pas encore définitivement fondée.

Pour que les conservateurs reviennent à la direction des affaires, il n’est pourtant besoin d’aucune révolution ; il suffit d’un minime déplacement de voix dans le corps électoral, et depuis huit ans, le suffrage universel n’a rien qui les puisse décourager. Voici deux fois que, aux élections générales, la gauche ne l’emporte que de quelques centaines de milliers de voix, et encore grâce aux manœuvres que l’on sait. Malgré tous ses avantages et malgré ses procédés, sa victoire a été maigre ; tout autre gouvernement l’eût considérée comme une défaite. Les républicains en ont triomphé ; la république a le droit de se contenter de peu ; elle peut vivre avec ce qui tuerait une monarchie. Pour qui regarde à l’avenir, mieux eût valu peut-être, pour elle, que les vainqueurs fussent à droite. Le pouvoir, à la longue, démoralise les partis ; le mal de la gauche est peut-être d’être restée trop longtemps au gouvernement, et d’en avoir trop use. Elle eût eu moins de peine à s’assagir ; elle se fût purifiée et modérée plus aisément dans l’opposition ; puisse la république n’avoir pas à regretter ses corrompantes victoires électorales !

Quant aux conservateurs, ils peuvent demeurer longtemps dans l’opposition. Ils ne sont point des affamés de places ou de besogneux politiciens, avant tout soucieux des avantages matériels du pouvoir ; ils n’ont point, pour la plupart, de fortune à faire, ou de notoriété à acquérir pour se pousser dans le monde. Les impatiences des nouvelles couches ne leur siéent point. L’opposition est aujourd’hui une fonction assez haute. Elle a les intérêts matériels et moraux de la France à défendre : sa fortune, ses finances, son armée, ses libertés publiques et privées, la sincérité du suffrage universel, le respect de l’enfance, la probité politique, la moralité nationale. Elle a les prodigalités gouvernementales, l’arbitraire administratif, le fanatisme maçonnique, les vexations jacobines à combattre, et la tyrannie même de l’état omnipotent, qui menace nos sociétés d’un nouveau genre de servitude. Et, pour cette tâche, qui suffirait à la gloire d’un grand parti, les conservateurs ont les ressources que donnent la richesse, l’intelligence ou l’instruction, l’expérience des affaires, les traditions d’honnêteté et d’honneur et les fortes croyances qui trempent les âmes et rehaussent les cœurs. Pour cette mission de défense sociale, qu’ont-ils besoin de