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gouvernement ; et je le crois bien, car le gouvernement de 1828 prétend être Louis XIV : « Vous n’êtes pas souverain ! » Il répète toujours la même chose, il tient toujours le même langage. Seulement il le tient à différentes personnes selon différens temps. Il n’y a rien autant que cela qui vous donne l’air d’être extrêmement versatile.

Et cette théorie ferme et constante, c’est dans la charte qu’il la trouve ou croit la trouver. C’est la charte, suivant lui, qui a dit qu’il n’y a pas de souveraineté. Elle a institué un pouvoir anonyme et impersonnel qui est la loi, et voulu que personne, en vérité, ne fît la loi, tant seraient nombreuses, diverses et séparées les puissances dont l’accord serait nécessaire pour qu’elle fut faite. La loi, selon la charte, n’est point faite par le peuple, point par le roi, point par l’aristocratie, point par les élus du peuple. Elle est faite par le roi, les pairs et la délégation du peuple, quand ils sont tombés d’accord, ce qui revient à dire, et ce n’est pas là une simple subtilité de langage, qu’elle n’est point faite par le roi, les pairs et les députés, mais que, quand roi, pairs et députés consentent, elle se trouve faite. La source de la loi reste mystique, tant sont multiples les élémens de sa formation ; et, en définitive, seule elle est souveraine ; et nul ne saurait dire qui l’a conçue et produite ; et quelque chose est souveraineté, et personne n’est souverain, non pas même tout le monde.

Voilà le sens de la charte, voilà son esprit. Tout vient d’elle. C’est elle qui nous institue en nos droits, en nos autorités, en nos puissances. Tout pouvoir dent d’elle et n’est que par elle, précisément pour que personne dans le pays ne soit puissant de par soi. C’est elle qui nous fait roi, pair, député, éligible ou électeur. Si tout le monde n’est pas électeur, par exemple, des esprits pratiques et positifs pourront dire que c’est parce que la compétence est chose où il faut avoir égard même quand il s’agit du salut du pays, et que pour faire un métier il faut le savoir faire ; et ils n’auront sans doute pas tort ; mais c’est surtout pour qu’il soit bien marqué qu’on n’est pas électeur de par un droit naturel, mais de par un droit qui vous est constitué par la charte, qui vient tout d’elle, qui naît avec la désignation qu’elle fait de vous, et qui, avant qu’elle existât, n’existait pas. — Pour donner à la constitution une telle autorité, pour la douer d’une telle toute-puissance et lui attribuer une telle vertu, il faut la rehausser autant qu’il se peut dans l’estime des hommes. C’est à quoi Royer-Collard ne manque point, et il s’efforce de la confondre, comme nous avons déjà vu, avec la u nécessité, » entendant par là la nécessité historique. La charte, c’est l’histoire de France. Ses premiers « linéamens » sont visibles au temps de Louis le Gros. Elle n’est pas d’hier ; d’hier