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seulement le papier où on l’a écrite. En dépendant d’elle, c’est de notre histoire que nous dépendons. C’est la France éternelle qui oblige le Français d’un moment ; et c’est elle aussi qui lui donne ses droits, qui, après l’avoir créé comme homme, le crée, — est-ce plus étrange ? — comme citoyen, magistrat, législateur, ou roi.

Dans cette conception, Royer-Collard est très à l’aise. En faisant la constitution aussi ancienne que la monarchie, il peut se permettre d’être aussi constitutionnel que royaliste, et libéral tout autant que légitimiste, et comme du même sentiment et de la même pensée. Charte et royauté sont deux faces du même droit, et ce droit à double aspect a toujours existé en France et confond ses origines avec celles du pays. Légitimité et charte, en histoire, même destinée ; en raison, même sens et même esprit. L’une et l’autre sont pour que là où il y aurait la force, ou une aventure, il y ait un droit. Légitimité, pour qu’un avènement ne soit pas un accident et un règne une circonstance. Charte, pour que la loi ne soit pas un coup de la force, une pesée du plus grand nombre sur le plus petit et d’un gros chiffre sur un chiffre un peu plus faible. Toutes les deux ingénieuses et salutaires substitutions d’un droit à la force, de quelque chose de spirituel à quelque chose de matériel et de grossier, toutes les deux formes, et produits, et soutiens de la civilisation parmi les ; hommes ; car le seul concours, ou le seul jeu, pour faire l’histoire humaine, de la force et des circonstances, c’est la définition même de la barbarie.


II

Fort de cette conception générale, Royer-Collard se place, et très fermement, et avec un coup d’œil très sûr et très juste, dans le temps où il vit, qu’il comprend très bien et pénètre avec une véritable perspicacité d’homme d’état ; et il remarque que la France, en 1816, est entre deux « souverainetés, » l’une dans le passé, l’autre dans l’avenir. La souveraineté d’autrefois, c’était la monarchie presque absolue ; la souveraineté à venir, c’est la souveraineté du peuple absolue.

La souveraineté d’autrefois, c’était la monarchie presque absolue. Elle l’était, quoi que Royer-Collard ait dit de la double continuité et de la légitimité et de la charte. Il sait bien qu’en ce qui concerne la charte, ce qu’il en a dit était pour la théorie, mais que, dans la réalité des choses, de ces deux droits éternels, l’un était très fort et l’autre au moins très languissant. Il faut bien avouer qu’avant 1789 il y avait une souveraineté. Cependant, elle n’était vraiment que presque absolue. Il y avait des droits en France, à côté, au-dessous, si l’on veut, du droit du roi. Il y avait des