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il faut s’en prendre. Ce gouvernement, si manifeste et en plein jour quant à ses opérations, est occulte quant à sa responsabilité. De plus, il est comme mieux situé qu’un autre pour empiéter sur des pouvoirs qui ne sont pas les siens. Faisant la loi, il peut et il veut toujours la diriger et la tourner au bénéfice de son autorité. Il fait des lois qui lui assurent plus ou moins complètement le pouvoir exécutif ; il fait des lois qui diminuent, comme pouvoir d’état, le pouvoir judiciaire ; il fait des lois qui diminuent ou suppriment le « pouvoir » de la presse ; il fait des lois qui diminuent ou suppriment tous les droits qu’il tient pour des pouvoirs, en ce qu’ils lui sont des limites ; et rien n’est plus difficile, et c’est où s’épuise toute l’imagination ingénieuse des libéraux, que de soustraire à la prise du pouvoir législatif en les plaçant dans une forteresse qu’on appelle constitution, les droits auxquels on veut que le pouvoir législatif ne touche pas, et que de tracer la limite assez nette et que de creuser le fossé assez profond entre la loi proprement dite que le pouvoir législatif doit faire, et la loi constitutionnelle qu’il doit respecter.

Pour ces raisons, c’est autour de lui qu’il faut tracer des limites, autant qu’on le pourra, mais c’est surtout par lui-même qu’il le faut limiter. Il faut deux chambres de droits égaux, chacune impuissante, puissantes à elles deux seulement quand elles sont d’accord. Ainsi partagé, le parlement ne gouvernera pas. Comme il ne peut gouverner qu’en se concentrant, qu’en se sublimant, qu’en ramassant sa force active dans un comité, qui lui-même condense la sienne en un chef, ce comité et ce chef, dans le cas de deux chambres, appartiendront toujours à l’une d’elles, et l’autre, se trouvant écartée du gouvernement, deviendra immédiatement opposition, résistance, limite, frein. La seule conviction, sensation continue, pour mieux dire, dans chacune des deux assemblées, que les choses iront ainsi dès qu’une des assemblées voudra gouverner, empêchera perpétuellement qu’aucune y tâche. Elles se résoudront toutes deux, d’une part à faire la loi, ce qui est leur office, et d’autre part à avoir contrôle sur le gouvernement, et, par le contrôle, influence indirecte, ce qui est légitime et salutaire. Nous avons, ici encore, où c’était plus difficile qu’ailleurs, empêché qu’il y eût une souveraineté.

Ce n’est pas tout. De souveraineté permanente, dans le système que nous venons d’exposer, il n’y en a nulle part. De souveraineté intermittente, pour ainsi dire, et éruptive, si l’on nous passe le mot, il serait bon qu’il n’y en eût pas davantage. En langue technique, cela signifie qu’il ne faut pas de plébiscite. Le plébiscite, c’est la souveraineté du peuple intervenant de temps en temps,