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souhaite en secret, presque en cachette d’elle-même, la fille troublée d’Hamilcar, une servante de Molière (voir le Médecin malgré lui) nous l’apprendrait sans vergogne : « Salammbô, dit encore Flaubert, avait grandi dans les jeûnes, les abstinences et les purifications, » et la Déesse, qui, au fond, dans le roman et selon les croyances prêtées par l’auteur à ses personnages, n’est que le principe féminin de l’amour, « la Déesse, jalouse de cette virginité soustraite à ses sacrifices, tourmentait Salammbô d’obsessions d’autant plus fortes qu’elles étaient vagues, épandues dans sa croyance et avivées par elle. » — Mais cette vengeance de la nature dont l’heure dans le roman finit par sonner, cette revanche de Mathô, l’ardent Libyen, sur la froide déesse, et de la passion vivante sur le mysticisme et la rêverie, voilà ce que le musicien n’a pas su ou n’a pas voulu nous montrer et ce qui nous manque. Nous y reviendrons, et pour y insister davantage.

Wagner, dit-on, a fait des drames avec des idées non moins surnaturelles et mystiques que celle-ci. Aussi les drames de Wagner manquent-ils souvent, du moins à notre gré, d’intérêt, de passion humaine. Quant à Parsifal, qu’on peut rappeler à propos de Salammbô, la portée philosophique et morale en est de beaucoup plus directe et plus profonde. Le Graal nous touche infiniment plus que le zaïmph. Le ciboire de cristal, empourpré du sang divin, a d’autres droits à notre respect, à notre émotion, à notre piété, que le voile d’une déesse punique. De plus, dans Parsifal, sous le symbole, quelle grandeur et quelle beauté morale ! Parsifal, c’est l’initiation à la pitié par le spectacle de la souffrance ; c’est l’apprentissage du dévoûment et de la compassion. Un peu naïf parfois et même quelque chose de plus, le héros wagnérien est parfois sublime : sublime lorsqu’il écoute, le vendredi saint, l’universelle leçon de sacrifice et de bonté que lui chantent les arbres de la forêt, les oiseaux du ciel, les herbes même de la prairie, toutes les créatures enfin, rachetées par la passion de Jésus ; sublime, lorsque, sorti pur et vainqueur de toutes les épreuves, la lance sacrée au poing, le manteau de pourpre aux épaules, triomphant, radieux comme un autre Sauveur, il rentre dans le cénacle pour y guérir toute misère. Tenez, ne nous souvenons pas trop de Parsifal ; oublions le Graal, ou le zaïmph étincelant ne nous semblerait qu’une guenille.

Le zaïmph, Salammbô et la lune, voilà toute la partition de M. Reyer. C’est surtout, pour ne pas dire exclusivement, dans le rôle de l’héroïne et dans les parties religieuses de l’œuvre que nous trouverons de très réelles beautés : la grâce, la noblesse, l’élévation, la pureté, que déjà dans Sigurd nous avions admirées. Quant à la force, qui, selon nous, manquait à Sigurd même, elle manque également, et peut-être plus encore, à Salammbô. De la violence, de la sauvagerie, de la barbarie du roman, rien n’a passé dans la partition. En musique,