Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au centre du continent une puissance prédominante fatalement entraînée à peser sur tout ce qui l’entoure. Au fond, pour préciser les choses, à l’heure qu’il est, tout se réduit à savoir si la guerre, le jour où elle éclaterait de nouveau, resterait un duel entre l’Allemagne et la France sur les Vosges, ou si elle s’étendrait aussitôt à toute la frontière qui va de la mer du Nord aux Alpes ; si, en un mot, la Belgique et la Suisse deviendraient du même coup des champs de bataille, des chemins d’invasion. C’est le problème plus que jamais agité depuis quelque temps, livré aux contradictions de toutes les polémiques, au demeurant assez sérieux pour préoccuper l’Europe aussi bien que les états exposés à être enveloppés dans le tourbillon des grandes querelles internationales.

Oui, sans doute, les choses ont suivi un tel cours que de nouveaux conflits sont toujours possibles, peut-être même inévitables, et qu’au premier coup de canon ils peuvent s’étendre ; mais c’est ici justement que la question, en se précisant, touche aux points vils, au droit public, à ce qui reste d’ordre européen, à la géographie militaire. Quelle place et quel rôle pourraient avoir dans les conflits éventuels des états étrangers par leur position, par leurs traditions, par leur destination même, aux démêlés qui peuvent s’élever autour d’eux ? Quel intérêt auraient des pays comme la Belgique, la Suisse, à se laisser capter ou entraîner, sous la pression de la force, au risque de jouer leur indépendance, — et quel intérêt, à leur tour, auraient les puissances limitrophes à méconnaître des neutralités paisibles et inoffensives ?

Depuis que la fortune de la guerre a ramené de la Lauter et de la Sarre sur les Vosges la frontière qui sépare la France de l’Allemagne, il est certain que tout a singulièrement changé. M. de Bismarck, dans l’excitation et l’orgueil du succès, au lendemain de la journée de Sedan, avait dit : « Il faut que nous ayons entre la France et nous un glacis. Il faut un territoire, des forteresses et des frontières qui nous mettent à l’abri de toute attaque… » Il avait dès lors aussi dévoilé ses desseins sinon sur Metz, dont il ne parlait pas encore[1], du moins sur Strasbourg, qu’il appelait sans

  1. C’est un fait à peu près acquis à l’histoire que M. de Bismarck hésitait d’abord à faire entrer dans ses plans l’annexion de Metz. C’est la raison militaire, c’est-à-dire l’esprit de conquête, qui l’emportait ; c’est l’état-major qui avait le dernier mot. M. de Moltke, à ce qu’on a raconté, disait que si on ne gardait pas Metz, il fallait se préparer à avoir 100,000 hommes de plus. Par le fait, avec l’annexion de Metz, on n’a pas moins eu les 100,000 hommes, et même beaucoup plus, et du même coup, une situation singulièrement aggravée. En cela, il est certain que M. de Bismarck, tout en maintenant des exigences déjà bien grandes, puisqu’elles impliquaient toujours pour la France la perte de l’Alsace, se montrait plus prévoyant que le chef d’armée qui a décidé l’annexion de Metz.