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« trouée » de l’Oise. C’est un de nos points vulnérables, c’est le défaut ou, si l’on veut, un des défauts de la cuirasse française. Pour la France, l’invasion de la Belgique par la Meuse ne conduirait la France qu’au Rhin inférieur, c’est-à-dire à rien ou à un guêpier. La violation de la neutralité belge porterait, au contraire, l’Allemagne à l’entrée de la vallée de l’Oise, qui n’est gardée jusqu’ici que par le fort d’Hirson, à la tête d’une des grandes routes d’invasion sur Paris, à huit ou dix marches de la Seine. Il est certain qu’il y a ici un but précis, un chemin tout tracé, un intérêt saisissable devant lequel la neutralité belge compterait vraisemblablement fort peu, si les Allemands étaient décidés à tenter l’aventure.

Ce ne serait pourtant pas encore très simple, ni même d’une réalisation facile, de quelque puissance qu’on dispose. D’abord, les Allemands n’ont pas assez du chemin de fer d’Aix-la-Chapelle, le seul de leurs chemins qui entre directement en Belgique, pour tous leurs transports, pour la concentration rapide des forces nécessaires à une grande et délicate opération. Ils sont donc, du premier coup, obligés d’ajouter à la violation de la neutralité belge la violation de l’indépendance hollandaise, en s’emparant d’autorité des voies ferrées qui communiquent du Rhin à la Belgique par le territoire néerlandais, pour suffire à de vastes mouvemens de troupes. C’est déjà une complication des plus sérieuses, la saisissante démonstration d’une prépotence absolue mettant des nations voisines, indépendantes ou neutres, dans l’alternative de se soumettre ou d’être traitées en ennemies. Et si la Hollande refuse de se soumettre, comme elle y paraît disposée ; si, en cédant à la force, elle se replie dans ses lignes, prête à défendre son indépendance, l’Allemagne serait, dès le début, réduite à laisser des corps d’une certaine importance pour contenir une petite et vaillante armée, pour occuper un terrain toujours disputé. La résistance que la Belgique opposerait à son tour, — qu’elle ne pourrait se dispenser d’opposer, sous peine de livrer son indépendance, — fut-elle condamnée à être définitivement impuissante pour la défense de Liège et du cours de la Meuse, elle durerait encore assez pour embarrasser l’envahisseur, pour laisser à l’armée belge la liberté de reprendre des positions nouvelles en couvrant Anvers, en restant sous les armes. Les Allemands auraient à enlever des places, à laisser encore ici des détachemens devant l’armée belge qui ne serait pas soumise. Ils seraient nécessairement ralentis dans leur marche, ils perdraient des jours, c’est-à-dire l’avantage décisif de la rapidité, — et pendant ce temps, on peut supposer que la France se serait hâtée de concentrer des forces suffisantes dans