Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais peut-être quand il sentait que les traits l’atteignaient à son côté faible. Il prit la plaisanterie en très mauvaise part ; et la vengeance qu’il en tira ne fut peut-être ni digne, ni prudente. Il diminua graduellement les forces qu’il mettait aux ordres de Clermont de manière à le réduire (il le disait lui-même), à l’état d’un capitaine de partisans. Clermont sentit le coup et, malgré son humeur habituellement accommodante, ne put le supporter de sang-froid. Il déclara très haut qu’il allait partir, ne pouvant se laisser traiter de la sorte par un bâtard étranger. Chacun savait où il irait en débarquant à Versailles, car il était en correspondance habituelle avec Mme de Pompadour, à qui il avait promis d’envoyer régulièrement des nouvelles du roi.

Par bonheur, au nombre des coupables, il en était un, le jeune marquis de Valions, qui, peut-être aussi prompt que les autres à parler après boire, sentait mieux, une fois les fumées du vin dissipées, le danger des coups de langue. Il représenta au prince, qu’étant un militaire d’occasion, quitter brusquement l’armée, à la veille d’une action, était un parti qui ne lui ferait pas assez d’honneur pour avancer ses affaires et qu’il ne lui resterait ensuite qu’à se retirer dans son abbaye. Il finit par le décider à écrire au maréchal pour se défendre d’avoir tenu les propos qu’on lui prêtait. Valfons, ayant combattu auprès du maréchal, à Fontenoy, restait assez bien avec lui : il se chargea de faire la remise de la lettre ; mais s’il avait été difficile de la faire écrire, il le fut encore plus de la faire lire. Dès que le maréchal le vit entrer : « Que me veut ton prince, lui dit-il, a-t-il un mouvement des ennemis à me faire connaître ? » — « Monsieur le maréchal, dit Valfons, il vous souhaite le bonjour. » — « Dis plutôt qu’il souhaite que le diable m’emporte, » et prenant le papier, il le jetait loin de lui, sans vouloir le décacheter, ni l’ouvrir. À force d’insister, Vallons obtint pourtant la permission d’en faire lecture, les termes en étaient polis et bien tournés : le visage du maréchal fut rasséréné. Mais à aucun prix, il ne voulait répondre : « Je ne veux pas, disait-il, être le pédagogue éternel des princes ; il faudrait que je lui dise qu’il a mal fait : on a beau être prince du sang, il faut savoir se taire et respecter le choix du roi. » Valfons rappela alors que le maréchal, lui-même, pour opérer un fourrage qu’il avait ordonné, aurait à se rendre dans le voisinage du quartier où campait le prince et pourrait s’y arrêter pour dîner. — « Non, dit le maréchal, je ne dîne pas chez les gens qui s’égaient à mes dépens. » — Le lendemain pourtant le fourrage eut lieu, et Valfons, servant de guide au maréchal, l’égara sans peine à l’entrée de la nuit, de manière à se trouver devant le logis du prince, où