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ne pouvait s’y concentrer et s’y tenir en repos sans risquer d’y être cerné. Il fallait s’y battre ou s’en retirer. Un mouvement de retraite vers Nice et la Provence devint donc nécessaire et fut opéré d’accord entre les deux généraux, sans pourtant que ce fût le résultat d’un concert positif entre eux, et sans qu’aucun d’eux voulût en prendre la responsabilité. Ce fut un jeu que d’Argenson explique très spirituellement : « M. de Maillebois, dit-il, n’y comprenait rien, le nouveau général désapprouvait tout, il disait que l’état des armées ne demandait pas autre chose que la retraite, il applaudissait cependant d’abord aux plans de défense… le lendemain, il y trouvait des difficultés, et le troisième jour, il ordonnait de marcher en arrière… le général espagnol n’avait pas absolument ordonné seul de fuir : le général français n’avait pas absolument conseillé ni insisté pour qu’on gardât les postes, ainsi chacun pouvait se rejeter la faute… Chacun envoyait des courriers à sa cour pour se vanter de son désir de résistance et pour accuser son collègue du parti honteux de rétrograder, et c’est ainsi qu’en peu de semaines nous évacuâmes l’Italie. »

Effectivement, l’une des deux armées tour à tour poussant et suivant l’autre, et le mouvement de recul de la veille rendant toujours nécessaire celui du lendemain, en moins d’un mois on avait passé de Tortone à Novi, de Novi à Voltri, puis à Savone, à Finale, à Alberga, à Oneille et enfin aux portes de Nice[1].

La précipitation épeurée de cette retraite étonnait les populations qui voyaient passer devant elles une armée en fuite sans qu’aucun combat eût précédé, et les moins surpris n’étaient pas les vainqueurs eux-mêmes qui s’avançaient à leur aise, ne comprenant rien à la facilité de leur marche. Quand le général Braun arriva sans avoir rencontré personne devant lui jusqu’au défilé de la Boccheta qui gardait les approches de la ville de Gênes et dont quelques centaines d’hommes auraient suffi pour lui disputer le passage : « Dépêchons-nous donc d’aller en France, s’écria-t-il, ces gens-là ont perdu la tête. « Il ne pouvait croire qu’on abandonnât ainsi, sans esprit de retour et sans lui laisser un secours suffisant pour se défendre, une alliée fidèle et importante dont l’appui n’avait pas été indifférent dans les succès de l’année précédente.

C’était pourtant le fait, et dans cette malheureuse cité, ainsi abandonnée aux ressentimens d’un voisin jaloux et d’une ennemie implacable, régnait une consternation sans égale. La possession de Gênes

  1. Campagnes de Maillebois par le marquis de Pesay, t. II, p. 296 et suiv. — Journal de d’Argenson, t. V, p. 26 et suiv. — (Ministère de la guerre. — Campagne d’Italie en 1747. — Passim.)