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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/363

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de l’oxygène ; opinion précisément contraire aux relations constatées depuis. Si je rappelle ces discussions et ces erreurs, ce n’est pas pour faire une vaine critique des savans qui nous ont précédés, mais c’est afin de bien distinguer les progrès qu’ils ont faits et ceux qui ont été réalisés depuis, par suite de conceptions plus exactes et plus approfondies. Cette distinction est nécessaire. En effet, c’est une illusion commune aux personnes qui relisent les anciens travaux et surtout ceux des hommes de génie, tels que Lavoisier, que de vouloir y trouver à la fois et les découvertes qu’ils ont réellement faites et celles de leurs successeurs. On affaiblit par cette confusion le vrai mérite des uns et des autres.

Ce qu’il y a de plus important peut-être dans le Mémoire de Lavoisier et de Laplace, après leurs vues générales sur la chaleur, c’est l’étude de la chaleur animale, étude qui a ouvert une ère physiologique nouvelle : nous allons l’aborder à leur suite.


III. — CHALEUR ANIMALE.

Les rapports secrets qui existent entre la combustion, la respiration des animaux et l’entretien de la chaleur propre à ceux-ci, ont frappé de bonne heure l’esprit des hommes, qui ont traduit leurs premiers sentimens sous la forme mystique des images bien connues relatives au flambeau de la vie, avant même que les philosophes aient fait intervenir leurs systèmes. La nécessité de l’air pour la respiration, aussi bien que la combustion, est attestée par l’expérience la plus vulgaire ; mais l’explication véritable de cette nécessité n’avait pas été donnée avant Lavoisier. Les vues des anciens sur ce point demeurèrent toujours vagues et obscures, parce qu’elles étaient privées de toute base scientifique et elles donnèrent même lieu à des négations absolues de la part d’esprits aussi philosophiques que celui d’Aristote : il n’entrevoyait aucun lien logique entre les deux ordres de phénomènes.

« Il est absurde, dit-il, de penser que la respiration soit une source de chaleur ; l’on ne doit pas croire que le feu intérieur soit nourri par l’air inspiré et que l’homme en respirant fournisse un aliment apte à la combustion intérieure. — C’est plutôt des alimens que la chaleur est tirée[1]. » On entrevoit les idées qui guidaient ici Aristote ; le feu exigeant, d’après son opinion, un support propre, qui ne pouvait être fourni par l’air. Au contraire, il pensait que l’air respiré rafraîchissait le sang, par son passage à travers les poumons.

L’utilité de l’air, pour entretenir la vie aussi bien que la flamme, est un fait d’observation courante. Les savans du XVIIe siècle, tels que Boyle et les Académiciens de Florence, ne croient pas moins

  1. Aristote, de Respirations, ch. III.