Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessaire d’en faire l’objet d’innombrables expériences, destinées à la constater avec précision. Ces expériences sont aujourd’hui tombées dans l’oubli ; mais elles ont eu leur rôle et leur intérêt pour fixer les idées : il serait ingrat de le méconnaître. On expliquait alors l’impossibilité de vivre des animaux maintenus dans un air confiné par cette circonstance que l’air est soufflé par les exhalaisons du poumon et perd ainsi une partie de son élasticité : ce qui le rend, disait-on, incapable de dilater les vésicules pulmonaires. Par suite, le sang resterait stationnaire, en raison de la compression des tissus qui entourent les vaisseaux capillaires : ce qui montrerait pourquoi la circulation s’arrête. On citait à l’appui une prétendue expérience de Drebbel, qui dans un bateau sous-marin aurait restitué à l’air ses propriétés respirables, à l’aide d’une fiole renfermant un esprit volatil. D’autres admettaient que l’air retenait par sa pression la matière du feu à la surface des corps combustibles : opinion moins absurde qu’elle ne semblerait à première vue, car elle est semblable à celle que nous admettons aujourd’hui pour l’électricité. En 1774, Lavoisier lui-même, imbu encore à ce moment des vieux préjugés, attribuait la mort des animaux dans le fluide élastique des effervescences (acide carbonique) à ce motif qu’un tel fluide ne peut enfler les poumons des animaux, comme l’air que nous respirons, en raison de la facilité avec laquelle il est absorbé et dissous par l’eau. « On éprouverait, dit-il, presque un même effet avec un soufflet dont l’intérieur serait humecté d’eau et dont on voudrait entretenir le jeu avec un fluide élastique fixable. » Si je rappelle ces anciennes opinions, c’est afin de mieux marquer quels préjugés s’opposaient à la manifestation de la vérité, combien a été subite l’évolution des idées et quelle est la grandeur de la découverte que Lavoisier allait accomplir.

Cependant l’explication tirée de l’élasticité de l’air ne pouvait guère être soutenue en présence des expériences faites sur des animaux maintenus dans de l’air comprimé, où ils finissent également par périr, quoique plus lentement. Il ne restait plus qu’à admettre que l’air expiré contient quelque chose de nuisible qui empoisonne l’homme ; opinion en partie fondée, en effet, mais insuffisante.

C’est ainsi que les disciples de Stahl supposaient que l’air est phlogistiqué par la respiration, précisément comme par la combustion vive et par l’oxydation des métaux : d’où ils concluaient que le phlogistiqué est identique dans les trois règnes de la nature. Il est frappant de voir comment la force des analogies observées conduisait dès lors à rapprocher ces trois ordres de phénomènes : combustion vive, oxydation lente, respiration, dans une explication commune, à la vérité erronée.