Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avaient qualité pour s’ingérer dans une question d’ordre intérieur ; tout au plus pouvaient-ils l’aborder avec une extrême réserve.

De ces deux thèses, la première était celle soutenue par les partisans de la protection littéraire. Il y avait des précédens en sa faveur ; M. Blaine en convenait et s’y ralliait. Si elle prévalait, il ne restait plus qu’à négocier sur la base de la convention de Berne, conclure et obtenir la ratification non douteuse du sénat. La seconde prévalait dans les bureaux, plus formalistes et plus routiniers, où se concentrait l’opposition faite à un traité appelé à supprimer un état de choses avantageux à nombre d’intéressés. Abandonnant la question de principe, qui n’était plus soutenable, et le texte de la loi en vigueur, que l’opinion publique répudiait comme sanctionnant le vol, on se plaçait sur un autre terrain : celui de l’article qui exigeait qu’un livre fût composé et imprimé aux États-Unis pour être protégé par la loi. On arguait que des négociations étaient en cours avec l’Angleterre pour la protection des œuvres littéraires, que, vu la similitude des langues, on entendait maintenir dans le traité à conclure avec elle cette clause favorable aux éditeurs et typographes américains ; qu’en faire l’abandon en ce qui concernait la France et la langue française, c’était se désarmer vis-à-vis de l’Angleterre, et, pour le pouvoir exécutif, assumer une responsabilité dangereuse qu’il valait mieux laisser au pouvoir législatif, à qui elle incombait.

La thèse était spécieuse, embarrassante pour le secrétaire d’état qu’absorbait fort, en outre, le congrès des trois Amériques, son œuvre personnelle, dont nous avons déjà parlé ici[1]. Tiraillé en sens contraire, très désireux en réalité de mettre un terme à ce qu’il qualifiait lui-même de « pillage organisé, » mais désireux aussi de garder toute sa liberté de négocier au mieux des intérêts américains avec l’Angleterre, il cherchait le moyen de tout concilier. Il n’en trouvait pas d’autre que l’intervention, dans les formes constitutionnelles, du pouvoir exécutif, et, le 14 décembre 1889, il avisait le ministre de France que le président de la république, dans son message annuel au congrès, référait au pouvoir législatif la solution à donner à la question du Copyright international, la recommandant à son attention comme « éminemment juste et sage. » Dans ces conditions, ajoutait-il, et bien que son opinion personnelle fût toujours que la plus prompte manière de régler la question eût été de procéder par voie de négociation directe, subordonnée à l’approbation du sénat seul, il ne pouvait, pour le

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.