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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/400

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l’héréditarisme apportait des argumens inattendus à la doctrine du péché originel et en faveur de la noblesse et de la royauté. Enfin, les traditionnalistes voyaient encore venir à eux les maîtres de l’école expérimentale, qui leur empruntaient leurs argumens contre les droits de l’homme et les principes de la révolution : tant il est vrai que les idées ont des chemins souterrains qu’on ne peut prévoir, des infiltrations inattendues qui les font reparaître toutes transformées à distance de leur source.

Parmi les maîtres de l’école théologique, les plus forts et les plus profonds, Bonald et de Maistre, ont été récemment l’objet, dans la Revue, d’études intéressantes ; nous-même avons consacré à Lamennais un travail étendu. Il nous reste à remonter à la source, jusqu’à l’initiateur du mouvement, l’auteur du Génie du christianisme. Chateaubriand n’est pas un penseur original comme de Maistre, ni un métaphysicien subtil comme Bonald, ni un controversiste véhément comme Lamennais ; mais il les surpasse tous trois par l’art d’écrire. Il a ouvert le XIXe siècle par un livre éclatant qui a été considéré dès l’origine comme la revanche du siècle nouveau contre le précédent, et comme le signal d’un revirement essentiel dans l’ordre des idées morales et religieuses. Aucun des écrivains que nous avons nommés n’a eu un succès aussi soudain, une influence aussi rapide et aussi universelle. Coïncidant avec le rétablissement du culte par le premier consul, le Génie du christianisme a été un véritable événement. L’écrivain et le politique s’étaient rencontrés et avaient deviné chacun de leur côté les nouveaux besoins de l’âme que les ruines de la révolution avaient réveillés. Ce fut l’aurore brillante du néo-catholicisme. L’éclat des couleurs, la fraîcheur des émotions renaissantes, la légèreté même du tissu si peu serré des preuves et des argumens, tout annonçait la jeunesse, ou du moins un retour de jeunesse. Une Jérusalem nouvelle sortait du désert, brillante de clarté, et portant sur son front une gloire immortelle. Depuis longtemps, l’église et la religion n’avaient vu d’aussi beaux jours.


I

Devant un si grand succès d’une plume chrétienne qui nous a tellement enchantés dans notre jeunesse (on dit qu’il n’en est plus ainsi, je le regrette), on a honte d’avoir à se demander tout d’abord si l’auteur de ce bel ouvrage, si l’apôtre éloquent du christianisme, au moment où il l’écrivait, était lui-même chrétien. L’indiscrétion de la critique moderne s’est posé cette question et n’a pas trouvé moyen de la résoudre avec une entière certitude. Ce n’est