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cause gagnée. Dans toute cette partie de son livre, Chateaubriand déploie une vaste lecture, une raison saine et solide dans un style plus sobre et plus sain, sans renoncer à l’éclat. C’est une œuvre tout à fait estimable, et qui n’a rien perdu avec le temps.

Quelles que soient les imperfections et les lacunes de l’œuvre de Chateaubriand, nous sommes de ceux qui pensent qu’elle ne mérite pas l’oubli injuste et ingrat dans lequel on l’a abandonnée. La crainte « de la phrase, » comme on dit, a fait perdre le sentiment de cette magnifique forme littéraire, qui, sans doute, est quelquefois plus sonore que pleine, mais qui bien souvent aussi a une grandeur dont notre littérature actuelle, malgré son ingéniosité, a complètement perdu le secret. Le Génie du christianisme a vieilli comme la plupart des grandes œuvres du passé, comme les chefs-d’œuvre classiques eux-mêmes, quoiqu’on n’ose pas le dire ; mais il n’en est pas moins vrai que ce livre a ouvert le siècle avec un prodigieux éclat, et qu’il a imprimé sa forme à la pensée, à la poésie, à la littérature pendant un demi-siècle ; cette influence n’a pas même disparu encore aujourd’hui. Combien ne reste-t-il pas encore de traces de Chateaubriand dans la prose de M. Renan ! Celui-ci est un Voltaire, mais un Voltaire breton, qui a respiré, comme son compatriote illustre, l’air poétique de leur commune patrie. L’incrédulité de l’un, comme la foi de l’autre, se nourrit de parfums, plutôt que de cette substance solide dont ont besoin les simples mortels. Grâce, lumière, vapeurs délicates, délicieuses arabesques, tel est le charme de ces deux écrivains ; mais le premier aura toujours pour lui le don de l’invention, et, je le répète, de la grandeur. Ajoutez que des deux plaidoyers qui se répondent l’un à l’autre, l’un a le mérite de laisser après lui des affirmations, tandis que l’autre n’aboutit qu’à des négations. C’est encore une supériorité : et, ces affirmations, même restreintes, même ramenées à des conclusions purement humaines, n’en sont pas moins un gain pour l’esprit et pour le cœur. Chateaubriand a résumé lui-même avec précision, et selon nous, en toute vérité, le réel et le positif de son œuvre : « Eh ! qui vous nie, disaient ses critiques, que le christianisme, comme toute autre religion, ait ses beautés poétiques et morales ? — Qui le nie ? Mais vous-mêmes qui, naguère, faisiez des choses saintes l’objet de vos moqueries. Vous avouez maintenant qu’il y a des choses excellentes dans les institutions monastiques ; vous vous attendrissez sur les moines du Saint-Bernard, sur les missionnaires du Paraguay, sur les filles de charité ; vous confessez que les idées religieuses sont utiles aux effets dramatiques ; que la morale de l’Évangile, en opposant une barrière aux passions, en a à la fois épuré la flamme et redoublé l’énergie ; vous reconnaissez