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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/423

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que le christianisme a sauvé les lettres et les arts de l’inondation des barbares, qu’il a fondé vos collèges, adouci vos lois criminelles, rédigé vos lois civiles, et même défriché l’Europe moderne ; conveniez-vous de tout cela avant la publication d’un ouvrage, très imparfait sans doute, mais qui a pourtant rassemblé sous un seul point de vue ces importantes vérités ? »


IV

Pour mesurer le terrain que Chateaubriand et son école ont fait gagner à la cause du catholicisme, il suffit de comparer, en terminant, l’opinion de deux philosophes, de deux libres penseurs : l’un du XVIIIe siècle, l’autre du XIXe, l’un et l’autre savans mathématiciens, liés par une affinité générale de doctrines et ne différant que sur un seul point, leur opinion sur le christianisme. Cette différence ne peut donc être attribuée qu’au temps, puisque sur tout le reste tout est identique. Ces deux philosophes sont Condorcet et Auguste Comte ; et la comparaison est d’autant plus légitime que Condorcet est précisément un de ceux, très rares d’ailleurs, dont Auguste Comte prétend relever et dont il se donne comme le continuateur.

Voici d’abord l’opinion de Condorcet, résumée dans une page où se trouvent réunies et condensées toutes les accusations de son siècle contre l’église catholique : « Nous montrerons, dit-il, cette vieille dominatrice essayant sur l’univers les chaînes d’une nouvelle tyrannie ; les pontifes subjuguant l’ignorante crédulité par des actes grossièrement forgés, mêlant la religion à tous les actes de la vie civile pour s’en jouer au gré de leur avarice et de leur orgueil, punissant d’un anathème terrible, par l’horreur dont il frappait les peuples, la moindre opposition à leurs lois, ayant dans tous les états une armée de moines toujours prête à exalter, par leurs impostures, les terreurs superstitieuses, afin de soulever plus puissamment le fanatisme… » et ce réquisitoire continue sur le même style pendant plus d’une page.

A ces déclamations violentes et passionnées de Condorcet opposons l’appréciation calme, impartiale, sympathique, disons plus, l’apologie absolue que fait Auguste Comte du catholicisme. Ce qu’il admire le plus dans cette religion, c’est précisément ce que le XVIIIe siècle abhorrait, à savoir l’institution d’un pouvoir spirituel, distinct et indépendant des pouvons temporels. Il fait remarquer qu’il y a dans la nature humaine une sorte d’activité qui est essentielle à la société et qu’il appelle l’activité spéculative, c’est-à-dire intellectuelle et morale. Or, dans l’antiquité, cette