Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si heureusement adaptée aux besoins de notre nature ; là, où la versatilité n’est pas moins dangereuse aux sentimens qu’aux idées. » Inutile de rappeler ce que le christianisme a fait pour la morale sociale. Auguste Comte loue les efforts du catholicisme pour modifier « le patriotisme énergique, mais sauvage, des anciens par le sentiment de fraternité universelle, si heureusement vulgarisé sous la douce dénomination de charité. » Plus originales encore sont l’apologie et la justification du culte des Saints, si attaqué par les protestans, et qui est devenu le type d’un des dogmes fondamentaux de la religion positiviste, le culte des grands hommes. Auguste Comte se rapproche encore plus de Chateaubriand en préconisant hautement les services rendus par le catholicisme aux sciences, aux lettres et aux arts. Il mentionne expressément l’influence du catholicisme sur la musique et l’architecture. Enfin, résumant tout ce plaidoyer dans une généreuse réhabilitation du moyen âge, il déplore « l’ingrate injustice de cette frivole philosophie qui tendait à qualifier de barbare et de ténébreux le siècle mémorable où brillèrent simultanément sur les divers points du monde catholique Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin, Dante, Roger Bacon. »

On remarquera sans doute que cette apologie du catholicisme est exclusivement historique, et en second lieu qu’elle n’implique nullement la vérité intrinsèque du dogme révélé. Néanmoins, c’était une grande avance pour la polémique catholique de pouvoir prendre acte de toutes ces conceptions de l’esprit philosophique le plus avancé. Il faut le mauvais style d’Auguste Comte pour que les défenseurs du catholicisme aient ignoré une apologie aussi forte, aussi complète, et je dirais presque aussi exagérée, et n’aient pas su tirer parti des avantages que leur fournissait un auxiliaire si inattendu. Nous nous contenterons de signaler le fait au point de vue de notre sujet et de constater combien l’écolo catholique, Chateaubriand en tête, a dû déployer de force et de talent pour faire ainsi remonter le courant de l’opinion et avoir amené sur le même terrain les écoles les plus opposées. Le débat, ainsi resserré, n’en est peut-être pas plus facile à conclure pour le fond des choses. Mais un grand pas aura été fait pour l’équité historique et pour l’intelligence de la civilisation moderne.


PAUL JANET.