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S’il faut vous le dire… — Elle fit face à la foule comme une reine. — Il y a là,.. en bas,.. un homme… Eh bien, je donnerais tout le sang de mon cœur pour le sauver !

Ils ne savaient pas de qui elle voulait parler, mais aucun d’eux n’hésita davantage.

— Prends ta place, ma fille, dit le plus vieux. S’il le faut, il le faut…

Et elle prit place en effet dans la cage auprès de Grace. Quand ils commencèrent à descendre, quand elle se vit à mi-chemin de l’abîme, elle lui parla :

— Priez pour que, si nous y restons, ce ne soit pas avant d’avoir achevé notre besogne.

Et elle achève sa besogne, en effet, parcourant les galeries, sous les blocs de charbon aux trois quarts détachés, sa lampe Davy à la main, cherchant, cherchant longtemps sans trouver… Mais quand la cage reparaît à l’entrée du puits avec son dernier chargement de blessés, Joan Lowrie est dedans, éblouie, aveuglée par les rayons du soleil d’hiver. Elle tient sur ses genoux la tête d’un homme inanimé. Un hurrah de bienvenue monte du sein de la foule.

Naturellement Derrick en reviendra, et quoique Joan se dérobe à sa reconnaissance, quoiqu’elle le fuie avec un courage plus grand que celui qu’il lui a fallu pour descendre dans la mine, il saura la retrouver si loin qu’elle se cache, il lui demandera d’être sa femme. Si elle doit refuser, elle eût mieux fait mille fois, dit-il, de le laisser là où il ne souffrait plus. — Le livre se termine par ces derniers mots de Joan, — toujours en patois, — elle y revient aux heures d’émotion bien qu’elle ait commencé à s’en déshabituer : — « Pas encore,.. pas encore… Je ne peux pas me détourner de vous,.. je ne le peux pas, mais laissez-moi devenir digne ; .. donnez-moi le temps de travailler, d’essayer,.. soyez patient jusqu’au jour où je vous reviendrai de moi-même, jusqu’au jour où je ne vous ferai plus honte. On dit que j’apprends vite. Attendez, vous verrez ce que je peux faire pour l’homme que j’aime. »

Nous ne doutons pas en effet, pas plus que n’en doute Anice Barholm, qu’elle ne soit capable de tout avec sa volonté que rien n’arrête ni ne dompte, stimulée par une impulsion si puissante, mais peut-être demeurerait-elle plus grande, plus noble encore dans notre pensée, peut-être surtout le dénoûment serait-il plus vrai, si ce mariage au moins étrange n’avait pas lieu. L’explosion aurait pu y aider ; il aurait pu survenir, ce terrible événement à l’heure même où Derrick se décide à braver les préjugés sociaux, à prendre et à garder contre son cœur cette fière victime qu’il ne peut secourir autrement, qui le tient à distance quoiqu’elle l’adore,