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jouerait le répertoire de Wagner, et Paris pourrait admirer Lohengrin et la Valkyrie, tout en se souvenant de Strasbourg et de Metz. La Ligue des patriotes et les marmitons feraient peut-être du tapage le premier soir ; je vous jure qu’ils n’en feraient pas le second, le ministre de l’intérieur, on le sait, pouvant au besoin prendre la défense des directeurs, quand on les attaque. Non-seulement nous aurions Lohengrin ; mais, nonobstant la participation de l’Italie à la triple alliance, nous aurions l’Otello de Verdi avec Mme Caron, avec M. Maurel, si le compositeur exigeait ces deux interprètes. Au lieu de tout cela, qu’avons-nous ? Une semaine : les Huguenots, Faust, l’Africaine ; la semaine suivante : l’Africaine, les Huguenots et Faust. En moins de deux mois, les abonnés du vendredi se sont vu offrir quatre fois Lucie et la Tempête ; l’année dernière, ils ont entendu vingt fois Roméo et Juliette. Et cependant on laisse annoncer les Troyens en Allemagne et représenter Samson et Dalila en province. On a oublié le Roi de Lahore, un des meilleurs ouvrages dramatiques de M. Massenet ; on n’a pas réclamé naguère le Roi d’Ys à M. Lalo ; on exile à Bruxelles la Salammbô de M. Reyer avec Mme Caron, son interprète, et l’on reprend Lucie de Lammermoor, grâce au dévoûment d’un spectateur qui se trouve être un ténor et consent à chanter Edgar, pour que le chef de l’État, présent à la solennité, ne soit pas obligé de rentrer à l’Elysée sans avoir vu la pièce. Lorsqu’on donne Aida, c’est bien autre chose : on va quérir à domicile une Amneris qui n’appartient plus au théâtre. Quand priera-t-on Mme Garvalho ou M. Duprez de sauver la représentation, la recette surtout, de Faust ou de Guillaume Tell ?

Si du moins le répertoire, aussi restreint qu’invariable, était traité avec les égards qui lui sont dus, comme celui du Conservatoire, par exemple ! Si, faute de le renouveler, on essayait de l’entretenir. Mais au lieu d’embaumer les dépouilles sacrées des vieux chefs-d’œuvre, on les laisse tomber en poussière. Aux inévitables atteintes du temps, qu’on ne saurait parer, mais qu’on peut amortir, on ajoute tous les jours, par la mollesse, la négligence, la routine de l’interprétation, des outrages nouveaux, et de ces coups de pied qui achèvent les lions. Pauvres Huguenots ! Pour les déshonorer à jamais, on ne s’y prendrait pas d’autre sorte. Je n’avais pas eu le courage de les réentendre depuis certaine exécution de cinquantenaire qui leur avait été fatale. Bien malgré moi, j’ai dû encore assister au massacre. La représentation des Huguenots est la représentation type. Avis aux directeurs futurs d’un Opéra idéal, s’ils désirent voir comment il ne faudrait ni faire ni laisser faire. D’abord il ne faudrait pas livrer le rôle de Raoul à un énergumène ; il ne faudrait pas permettre à un ténor de vociférer quatre heures durant, de crier le premier et le second acte, de hurler le quatrième, et de se colleter avec une non moins hurlante Valentine, en poussant des cris affreux. L’Opéra n’est pas, ou, tel que nous