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lui ni une majorité éclairée dans son parlement, ni un gouvernement sérieux à la direction de ses affaires. Il ne voit que des ombres de majorité, des ombres de gouvernement. Ce n’est pas assez pour lui faire un rôle proportionné à sa grandeur dans ce laborieux et obscur mouvement où l’Europe est aujourd’hui engagée.

Certes, s’il y a un spectacle médiocre et peu rassurant, c’est celui de ce ministère qui, depuis l’Exposition et les élections, n’a jamais su où il en était, qui a failli, l’autre jour, disparaître dans une échauffourée et n’a échappé provisoirement à son sort qu’en s’humiliant, en désavouant ce qu’il avait dit la veille, en se livrant un peu plus aux influences radicales. C’est l’histoire de cette dernière crise, où tout est assez bizarre, où M. le président du conseil Tirard et M. le garde des sceaux Thévenet n’ont positivement pas joué un rôle des plus brillans.

Comment cette première crise, qui était, après tout, dans la logique des choses, est-elle arrivée ? On aurait compris qu’elle eût éclaté il y a quatre mois, il y a deux mois, lorsque le gouvernement avait à se décider pour une politique, ou plus récemment encore, il y a quelques jours, lorsque le ministère, surpris, ahuri et divisé, n’a pas su prendre la plus simple et la plus prévoyante des résolutions dans cette triste et méchante affaire de M. le duc d’Orléans. Le ministère aurait pu saisir l’occasion de se retirer, de reconnaître qu’il avait fait son temps, qu’à une situation nouvelle il fallait des hommes nouveaux ; il aurait pu aussi être renversé par un vote de la chambre. Pas du tout, ce n’est point ce qui est arrivé. L’aventure s’est produite sous une autre forme, par une altercation, en plein conseil, entre le chef du cabinet et M. le ministre de l’intérieur Constans, au sujet de la nomination du premier président de la cour de cassation. M. le président du conseil, qui a le sens de la haute mission de la magistrature, a voulu donner la première des fonctions judiciaires de France à un sénateur, après avoir donné récemment la présidence de la cour des comptes à un autre sénateur ; le ministre de l’intérieur a tenu pour la candidature d’un magistrat distingué et estimé à la cour de cassation, déjà président de chambre. Des paroles assez vives auraient été, dit-on, échangées entre les deux ministres, et la guerre a été allumée, si bien allumée, que sans plus de retard, sans attendre même la fin du conseil, M. Constans est parti pour ne plus revenir. Il faut tout dire, le choix d’un magistrat n’a été évidemment qu’un prétexte. La vérité est qu’entre le président du conseil et le ministre de l’intérieur il y avait depuis longtemps des mésintelligences visibles, un conflit d’influences à peine déguisé, que M. Tirard se sentait offusqué de l’importance de M. Constans, qui passait pour le grand électeur du scrutin de septembre, pour l’habile organisateur de la campagne contre le boulangisme. C’était le secret de la comédie ; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est que peu de jours avant, M. le président du conseil avait saisi l’occasion d’aller de compagnie avec le