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violer la consigne. Maurice croyait donc sa tâche accomplie au moins pour l’année, et il le pensait si bien que, fidèle à une habitude qu’il avait prise et dans laquelle on l’avait, au ministère de la guerre français, fort encouragé à persévérer, il présentait au roi de Prusse un tableau résumé des opérations de la campagne en sollicitant son approbation. Allant au-devant du reproche qui lui était fait, de n’avoir remporté aucun avantage éclatant et d’avoir manœuvré plutôt que combattu : « Namur est pris, lui écrivit-il,.. je crois avoir beaucoup fait que d’avoir obligé le prince de Lorraine de l’abandonner et de se retirer par un pays où son armée a souffert considérablement, sans m’être soumis à un combat, toujours douteux, lorsqu’on n’a pas de troupes sur la discipline desquelles on peut compter. Les Français sont ce qu’ils étaient du temps de César et tels qu’il les a dépeints, braves à l’excès, mais inconstans, formes à se faire tuer dans un poste lorsque la première étourderie est passée… mais mauvais manœuvriers en plaine. Tous ces défauts, sire, vous ne les connaissez pas dans vos troupes et vous savez parfaitement ce que vous en pouvez attendre ; comme il ne m’est pas possible de les former comme ils devraient être, j’en tire le parti que je puis et je tâche de ne rien donner de capital au hasard… »

« Monsieur le maréchal, lui répondit sans hésiter le roi de Prusse, la lettre que vous m’avez fait le plaisir de m’écrire m’a été fort agréable ; je crois qu’elle peut servir d’instruction pour tout homme qui est chargé de la conduite d’une armée : vous donnez des préceptes, vous les soutenez par des exemples, et je puis vous assurer que je n’ai pas été des derniers à applaudir aux belles manœuvres que vous avez faites. Dans le premier bouillon de la jeunesse, lorsqu’on ne met que la vivacité d’une imagination qui n’est pas réglée par l’expérience, on sacrifie tout aux actions brillantes et aux choses singulières qui ont de l’éclat : à vingt ans, Boileau estimait Voiture ; à trente ans, il lui préférait Homère. Dans les premières années que je pris le commandement de mes troupes, j’étais pour les pointes ; mais tant d’événemens que j’ai vu arriver, auxquels même j’ai eu part, m’en ont détaché… On fera toujours de Fabius un Annibal ; mais je ne crois pas qu’Annibal soit capable de faire la conduite de Fabius… Je vous félicite de tout mon cœur sur la belle campagne que vous venez de finir[1]. »

Tout le monde s’attendant ainsi à la suspen ion des hostilités, il semblait naturel de croire que le prince de Lorraine aussi se le

  1. Maurice de Saxe à Frédéric, 21 septembre, Frédéric à Maurice, 3 octobre 1746. — (Ministère de la guerre.) Grimoard, Lettres et Correspondances de Maurice de Saxe, t. III, p. 181 et 240.