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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/547

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dans ce couplet improvisé, hommage à la valeur des défenseurs de Raucoux :


Anglais, chéris de la victoire,
Vous ne cédez qu’aux seuls Français,
Vous n’en avez pas moins de gloire.


La joie ne fut pas moins vive à Versailles quand on y reçut le marquis de Vallons, que Maurice (sans doute pour bien montrer qu’il était pleinement réconcilié avec le comte de Clermont) chargea d’y porter les drapeaux pris sur l’ennemi. Le roi, la reine, Mme de Pompadour, voulaient voir successivement et séparément le jeune officier et lui faire raconter en détail les moindres incidens de la journée, la marquise ayant soin cependant (raconte Valfons lui-même dans ses souvenirs) de lui lire d’abord des lettres qu’elle avait déjà reçues de l’armée pour bien faire voir qu’elle était au courant de tout ce qui s’y passait, et quand elle eut tout entendu et se fut fait tout expliquer : « Le maréchal, dit-elle, doit être très content. Qu’il doit être beau à la tête d’une année sur le champ de bataille ! — Oui, madame, il y fait l’impossible pour se rendre encore plus digne de votre amitié. — Vous pouvez lui écrire que je l’aime bien[1]. »

On avait sujet, à la vérité, d’être bien aise : car les occasions de se féliciter devenaient rares dans ces derniers temps. Sans parler des nouvelles de plus en plus fâcheuses qui arrivaient d’Italie, une alarme d’un genre tout à fait inattendu venait de faire passer des heures d’attente cruelle aux ministres de la guerre et de la marine : le 5 octobre, au matin, une escadre anglaise, forte de vingt voiles, était apparue soudainement en vue des côtes de Bretagne. S’approchant du littoral, qu’elle trouvait entièrement dégarni, elle avait débarqué, sans rencontrer le moindre obstacle, un corps d’armée d’environ cinq mille hommes. La petite troupe s’était avancée, toujours sans rien trouver devant elle, jusqu’aux portes de Lorient. Le commandant de ce port, pris entièrement au dépourvu, ne songeait déjà plus qu’à capituler, et un coup de main livrait ainsi aux Anglais toutes les richesses, les marchandises et le matériel entier de la compagnie des Indes, dont Lorient était le siège et contenait tous les magasins. Heureusement, les milices du pays, rapidement accourues, bien que dans un état d’armement le plus imparfait, aidées de bandes de paysans munis de fourches, firent mine d’opposer quelque résistance, et le vent ayant fraîchi, le commandant de l’escadre fit savoir au chef de la troupe envahissante

  1. Mémoires de Valfons, p. 192.