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C’était jouer le jeu de ses ennemis que de se présenter à eux avec 1,800 chars et 700 éléphans[1]. Du moment qu’il s’alourdissait, le Perse perdait son principal avantage. Aussi, tout vaillant soldat qu’il pût être, fut-il battu par les légions qu’il allait combattre. Cinq ans plus tard, en l’année 238, Alexandre Sévère tombait, comme Caracalla, sous les coups d’un assassin. La Mésopotamie et la Syrie sont de nouveau ravagées par les Perses ; Antioche elle-même succombe.

Le successeur d’Alexandre Sévère, Gordien, reprit aisément l’offensive. Perses et Romains étaient également armés pour repousser l’invasion, également faibles quand il fallait la tenter. Gordien fut d’ailleurs, comme Alexandre Sévère, comme Caracalla, frappé, au milieu de ses triomphes, non pas par l’ennemi extérieur, mais par ses propres troupes.

Un autre empereur, Valérien, tomba, ce qui ne s’était point encore vu, au pouvoir des Asiatiques. La captivité de Valérien, défait près d’Edesse, en l’année 260, est restée célèbre. Le prince de Palmyre, Odenat, à la tête de ses Arabes, vengea Valérien, mais ne le délivra pas. La Mésopotamie se prête aux incursions rapides et soudaines. Le difficile est de s’y maintenir. Il n’y a que les fleuves dont elle est enveloppée qui puissent donner quelque consistance à l’invasion.

La veuve d’Odenat, la célèbre Zénobie, faillit être plus dangereuse encore pour la puissance romaine que les Perses. Si elle ne s’était pas enfermée dans une place forte, elle eût peut-être épuisé à la longue les armées d’Aurélien. Elle fut perdue dès qu’elle cessa d’être insaisissable.

Il y eut un moment où l’on put croire que la prépondérance de Rome allait s’affirmer de nouveau sur l’Orient aussi bien que sur l’Occident : ce fut le jour où Dioclétien établit l’empire sur des bases nouvelles, substituant une tyrannie savante et compliquée au despotisme militaire condamné à rester à la merci du moindre caprice des légions. Ce jour-là les Perses, malgré une première victoire surprise à Galère, durent trembler. Le roi de Perse, quand Galère revint à la charge, n’eut que le temps de fuir, laissant entre les mains du lieutenant de Dioclétien la reine et ses enfans. Pour

  1. Le chiffre varie, suivant les auteurs et suivant les éditions, de 70 à 700. J’ai dû adopter naturellement le chiffre le plus fréquemment inscrit. Les erreurs des copistes, aussi bien que celles des typographes, ont eu quelquefois de fâcheuses conséquences pour la vérité historique. Ne me faisait-on pas donner récemment, dans le second volume des campagnes d’Alexandre (page 2, ligne 19), à un des affluens du Tigre, une largeur de 80 kilomètres ? J’avais pourtant écrit 80 mètres. Que d’altérations ont dû subir les textes qui nous arrivent après les manipulations de deux mille ou trois mille ans !