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l’assurance est obligatoire, dans une autre où l’obligation n’existe pas, ils ne doivent pas perdre leurs droits à la pension d’invalidité. Contrairement à cette thèse, soutenue à la tribune du parlement, ne faut-il pas plutôt chercher le motif inavoué des résistances contre l’administration des caisses de retraite par les ouvriers et les patrons intéressés, dans l’illusion qui fait croire au gouvernement impérial que les rentes servies par l’Etat à tant de millions de sujets garantiront le pouvoir établi contre tous les risques de renversement ? On reste maître des hommes que l’on tient par le ventre, dit une ancienne maxime orientale. Disposer de l’avenir, être le nourricier reconnu de tout un peuple, le jour où ses propres ressources lui manqueront, aux yeux du restaurateur de l’unité nationale, c’est intéresser ce peuple entier à la conservation du régime dont dépend son existence.

Reste à savoir si le peuple allemand, ou seulement la masse des prolétaires soumis à l’assurance contre l’invalidité, se contentera pour l’avenir des rentes promises aux invalides. L’attitude et les déclarations des députés démocrates socialistes ne sont pas de nature à laisser sous ce rapport de grandes espérances. A entendre les hommes qui se donnent comme représentans attitrés des ouvriers, les rentes promises sont trop minimes et les contributions exigées trop élevées ; les pensions accordées en vertu de la loi ne suffisent pas aux besoins de la vie, les primes d’assurance dépassent les moyens des assurés. Sans partager aucunement les doctrines socialistes, des membres de toutes les fractions du Reichstag attestent de même la disproportion entre les charges et les avantages de l’assurance contre l’invalidité pour les petits cultivateurs et les artisans ordinaires. Si la mutualité est la mise en commun de ressources auxquelles tous les contribuables ont un droit égal, mais auxquelles tous ne font pas appel dans la même mesure, la masse des ouvriers comprend ce procédé pour l’assurance contre la maladie : pour l’assurance contre la vieillesse et l’invalidité, elle y répugne parce que l’époque de la jouissance est trop éloignée pour des sacrifices immédiats. La perspective de toucher une petite rente servie par l’Etat, après quarante ou cinquante ans de contributions, ne séduit pas les assurés, à cause de son éloignement. La plupart vont répétant, avec le bonhomme La Fontaine : d’ici quarante ou cinquante ans,


Le roi, l’âne ou moi nous mourrons.


Terme trop lointain de la jouissance, insuffisance de la pension promise, élévation relative des primes, autant de griefs des sujets soumis à l’assurance obligatoire contre l’organisation des caisses de