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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/63

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pût éprouver pour elle, il professait certaines doctrines qui, prises à la lettre, paraissaient contraires aux lois et aux usages de son pays. Réduites à ces termes, les assertions de Celse ne manquent pas de vraisemblance. Il est certain que, sur les questions les plus graves, la famille, la propriété, le service de l’état, le christianisme, au moins dans les premiers temps, s’était mis ouvertement en désaccord avec l’opinion. Il recommandait de fuir les fonctions publiques ; il préférait la virginité au mariage ; il honorait le célibat, que le législateur traitait comme un crime ; il conseillait aux riches de renoncer à leur fortune pour être parfaits ; il condamnait la guerre et détournait les siens de servir dans les armées. C’étaient des maximes qu’un conservateur nourri dans les vieilles traditions devait trouver subversives, et il n’est pas douteux qu’appliquées dans la rigueur elles pouvaient causer un grand dommage à l’empire. Mais tout change avec le temps, même les institutions qui se piquent le plus d’être immuables. Pendant cette lutte de trois siècles que soutint l’Église pour conquérir le droit d’exister, elle s’est plus d’une fois modifiée, elle a cédé à des résistances qu’elle désespérait de vaincre. Sans renoncer à ses principes, elle les a tempérés dans l’application de façon à les rendre acceptables même à ceux auxquels ils répugnaient le plus. Pour le montrer, il faudrait refaire ici toute son histoire, ce qui n’est pas possible. J’aurai l’occasion d’indiquer, dans la suite de cette étude, quelques-unes des concessions qu’elle a faites pour s’accommoder au milieu dans lequel elle voulait vivre. Qu’il me suffise de dire, pour le moment, qu’au commencement du IVe siècle, quand parut Constantin, les plus grandes difficultés étaient aplanies, qu’il ne restait plus entre l’empire et elle de ces oppositions violentes qui auraient rendu la vie commune impossible, et qu’elle pouvait se substituer à l’ancienne religion sans produire un de ces déchiremens qui compromettent la sécurité publique.


III

Ce qui prouve mieux que tous les raisonnemens du monde que le christianisme et l’empire n’étaient pas incompatibles, c’est qu’ils ont vécu ensemble de bonne intelligence pendant un siècle. De Constantin à Théodose, tous les princes, à l’exception d’un seul, sont chrétiens, et pourtant on ne voit pas qu’il soit survenu des changemens graves dans la conduite des affaires. La machine marche à peu près comme auparavant. Le mouvement donné par Dioclétien continue : Constantin achève d’organiser la monarchie administrative créée par son prédécesseur. Même les privilèges accordés à l’Église n’ont rien qui ait dû beaucoup étonner les gens