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société policée n’a pu se constituer et les arts et métiers se perfectionner et se varier que dans les pays où le luxe est éclos, soit pour les temples et le culte, soit pour des chefs riches et curieux des objets rares. Si le centre de l’Afrique reste voué à une barbarie toute primitive et stationnaire, c’est en partie que ni le culte ni les goûts des chefs n’y ont suscité les métiers qui entretiennent le luxe.

Ainsi des germes se multipliaient au Japon de dissolution de la société féodale, sur les côtes, dans les villes maritimes, le long des sept grandes routes, sous les murs mêmes des châteaux féodaux des principaux chefs. Les provinces étaient soumises au sort le plus inégal ; la taxe foncière, principale ressource des pouvoirs publics à tous les degrés, absorbait parfois 70 pour 100 du produit de la terre et tombait rarement au-dessous de 30. La condition des paysans était misérable et précaire, quoiqu’un pouvoir, plus paternel parfois, dans sa sévérité, que notre inflexible bureaucratie, lit des remises de taxes en cas de disette et quelquefois s’approvisionnât de grains pour parer à l’insuffisance des voies de transport. Les monnaies variaient d’une province à l’autre et aussi la monnaie de papier, que les Orientaux, Japonais et Chinois, connurent bien avant les Européens. Lors de la chute de la féodalité, en 1868, il y avait en circulation 29 sortes de papier-monnaie et 49 types de monnaie métallique, dont 23 en or, 19 en argent, 5 en cuivre et 2 en fer. Les salaires variaient dans d’énormes proportions d’une province à l’autre, étant souvent dans une localité la moitié ou le tiers du taux usité dans la voisine.

Telle était la société où a éclaté la révolution de 1868, détruisant le grand chef féodal, le shogoun, restaurant l’empereur, le mikado, établissant au moins, nominalement la centralisation et abolissant, sauf des titres honorifiques, toute différence de rang. Notre révolution de 1789, préparée par plusieurs siècles d’administration centralisée et de vie intellectuelle intense, n’est qu’un jeu auprès de celle du Japon ; et cependant, en ce dernier pays, à la transformation politique se joint une révolution économique qui doit, dans quelques années, doter le Japon de tout l’outillage mécanique qu’il a fallu plus d’un siècle pour constituer en Occident.

Quelques-uns des chefs des provinces du sud-ouest, au risque de leur vie, prêtèrent serment de fidélité au mikado oublié dans sa résidence de Kioto, et partant en guerre contre le shogoun, détruisirent l’usurpation de la famille Tokugawa et rétablirent l’empereur dans tous ses pouvoirs. C’est la restauration du souverain légitime qui a mis fin à la féodalité. Que la féodalité soit morte en tant qu’organisme gouvernemental, cela est certain ; mais