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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/667

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se fier désormais plus aux concessions à des compagnies qu’à l’action directe de l’état ; nous l’en félicitons ; il a plus à gagner à l’imitation des États-Unis et de l’Angleterre que de l’Allemagne ou de la Hongrie. Nous remarquons que les lignes en construction ou en tracé offrent une moins forte part de lignes d’état que le réseau déjà construit[1]. Le gouvernement pourrait, toutefois, stipuler dans ces concessions une participation dans les bénéfices au-delà de 8 ou 10 pour 100 de revenu pour les actionnaires en se réservant la moitié de l’excédent. Cela lui permettrait d’obliger les compagnies très prospères à entreprendre quelques lignes secondaires, financièrement moins fructueuses. M. T. Ourakami complète sa description des chemins de fer du Japon par la réflexion suivante : « Il faut noter que, depuis les travaux de construction jusqu’à la direction de la locomotive, tout se fait par les ingénieurs et les mécaniciens japonais. Les étrangers qui avaient été nos maîtres dans cette science et qui avaient été appelés par le ministère des travaux publics sont aujourd’hui, à l’exception de quelques-uns d’entre eux, remerciés à l’expiration de leur contrat. »

Ces lignes, tout aussi bien que l’attentat contre le comte Okouma, peignent l’esprit public au Japon. Les Japonais sont les admirateurs de la civilisation occidentale, mais ils n’entendent pas laisser les Occidentaux les envahir. L’assimilation des procédés n’empêche pas l’exclusivisme à l’égard des personnes. Cette nation orientale tient à demeurer encore fermée. Les dissensions au sujet du renouvellement des traités entre le Japon et les contrées étrangères en fournissent la preuve.


IV

Avant d’aborder ce grave sujet qui passionne aujourd’hui son pays, M. Yeijiro Ono se livre à une longue étude, toute théorique, et qui ne manque pas d’intérêt, sur les lois du progrès industriel. Il y montre à la fois des connaissances scientifiques et de la perspicacité. La civilisation a pour caractéristique l’extension des besoins humains ; il faut éveiller dans cette masse japonaise le goût de satisfactions qu’elle n’a pas. En même temps, on lui doit fournir de nouvelles méthodes et de nouveaux instrumens de travail. Tout cela ne va pas sans une perturbation matérielle et morale. L’introduction des machines a été graduelle, successive en Europe : néanmoins, elle y a suscité beaucoup de souffrances ; au Japon, elle va être soudaine, instantanée ; le milieu n’y est pas préparé,

  1. Voir la correspondance de M. T. Ourakami sur la Situation politique et économique du Japon dans l’Économiste français du 26 décembre 1889.