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tendance et le préjugé du temps présent. L’ouvrier japonais consacre dix jours à produire le thé qu’il échange contre du calicot qui n’aura coûté que deux jours de travail à l’ouvrier de Manchester ; il semble à l’observateur superficiel qu’il y ait dans un commerce de cette nature une infraction aux règles de la loyauté et de l’équité. Notre auteur japonais, avec une rare pénétration, n’aboutit pas à cette conclusion, il expose les conditions nécessaires pour qu’une politique protectionniste atteigne, du moins en partie, les résultats qu’en attend une contrée neuve : il y a trois de ces conditions : il faut en premier lieu que la nation possède une très grande population et un énorme territoire, au point de s’offrir à elle-même un marché très étendu et très varié, de réunir en quelque sorte plusieurs climats et une très abondante diversité de ressources ; en second lieu, les matières premières des industries protégées, comme le combustible, les métaux, les plantes textiles, doivent être produites dans le pays même en très grandes quantités ; enfin l’intelligence et la demande effective du peuple pour les produits de la civilisation doivent être aussi développées que chez les nations étrangères. On ne saurait mieux raisonner : bien des fois nous avons indiqué ces conditions, surtout les deux premières, comme essentielles pour atténuer les inconvéniens de la politique protectionniste. Nous avons été charmé de les retrouver avec des complémens sous la plume d’un écrivain japonais. De ce que les 70 millions d’hommes, nouveaux venus, épris de fortune, d’une dévorante activité, et les 8,500,000 kilomètres carrés des États-Unis, ou bien encore les 100 millions d’hommes et les 22 millions de kilomètres carrés de l’empire russe peuvent pratiquer, sans trop en souffrir, une politique ultra-protectionniste, les esprits sont bien superficiels qui en concluent qu’une nation de 38 millions d’âmes, à population stationnaire et un peu amollie par un héréditaire bien-être, vivant sur un mesquin territoire de 530,000 kilomètres carrés, pourrait appliquer, sans notablement y perdre en activité et en ressources, un régime du même genre.

M. Yeijiro Ono, par des observations générales, conclut donc contre l’introduction au Japon du système protectionniste rigoureux. L’examen attentif des importations dans son pays le confirme dans son jugement. Sur un total d’importations de 32 millions de yens (environ 160 millions de francs) en 1886, les fils de coton entrent pour 6 millions de yens (30 millions de francs), le sucre pour plus de 5 millions et demi de yens (27 millions de francs), les tissus de coton pour 2,300,000 yens (Il millions et demi de francs), le pétrole pour 2,600,000 yens (13 millions de francs), les lainages