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la notification a eu lieu, et huit jours plus tard, comme je l’avais prophétisé, on devenait beaucoup plus doux à Saint-Pétersbourg. »

Cette fois encore, M. de Bismarck a recouru aux grands moyens, et selon toute apparence, il comptait que l’empereur-roi Guillaume II s’arrêterait au bord du fossé, que ses conditions seraient acceptées, qu’on finirait par s’entendre. Le conseil des ministres qu’il avait réuni fit son possible le lundi 17 mars pour ménager un raccommodement. Un des journaux auxquels le prince envoie des communications annonça qu’on exagérait la gravité de la crise, qu’en tout cas les choses demeureraient dans l’état jusqu’à la fin de la conférence ouvrière ou même de la session du Reichstag, qu’alors peut-être, aux termes d’un arrangement à l’amiable, M. de Bismarck renoncerait à ses fonctions dans le ministère prussien, mais qu’il resterait chancelier. Ce journal et celui qui l’inspire s’étaient trompés. Depuis le 20 mars 1890, date mémorable de l’histoire, M. de Bismarck n’est plus président du ministère prussien, ni ministre des affaires étrangères, ni chancelier de l’empire allemand ; il n’est plus rien que M. de Bismarck. A la vérité, c’est encore quelque chose.

Ce qui a semblé étrange, extraordinaire, c’est que le jeune souverain n’a éprouvé dans cette grave occurrence ni hésitation, ni scrupule. Ce dénoûment ne lui a point fait peur, il l’a cherché. Il n’a pas balancé à se priver des conseils de l’homme d’État hors de pair qui a créé l’Allemagne nouvelle et qui, pendant plus d’un quart de siècle, avait mis au service de son pays et de ses souverains sa prodigieuse activité et les ressources inépuisables de son génie politique. La Gazette de l’Allemagne du Nord s’est chargée de nous apprendre qu’aucune démarche n’a été tentée pour faire revenir M. de Bismarck sur sa résolution. « Il m’est échu d’être l’officier de quart sur le vaisseau de l’État, écrivait l’autre jour Guillaume II au grand-duc de Saxe-Weimar. La route reste la même, et maintenant à toute vapeur, en avant ! »

Louis XIV s’était soumis patiemment jusqu’à la mort de Mazarin à une tutelle despotique qui lui pesait. Le lendemain, on lui demanda : « A qui nous adresserons-nous ? » Il répondit : « A moi ! » Comme l’a remarqué un historien, la reconnaissance l’empêcha de secouer le joug, et s’il avait remporté une grande victoire sur sa passion en consentant à se séparer de Marie Mancini, il en remporta une plus forte et plus difficile encore en laissant le cardinal maître absolu. Guillaume II n’a point remporté cette victoire sur lui-même. Il est vrai que Louis XIV n’avait alors que vingt-trois ans, et qu’il lui échappa de dire : « Je ne sais ce que j’aurais fait s’il avait vécu plus longtemps. » Au surplus, ce n’était pas un mystique ; quand son orgueil ne l’aveuglait pas, il se laissait gouverner par son bon sens naturel. Debout sur le pont du navire qui l’emmenait au Pirée, Guillaume II, dans ses rêveries nocturnes, a longuement causé avec les étoiles ; il l’a raconté lui-même