souverain ou du chancelier. Le chancelier gouvernait depuis vingt-huit ans ; si grand que soit leur fonds de patience, les Allemands ont comme tous les peuples l’amour des nouveautés.
« Le lion est mort, m’écrivait-on l’autre jour de Berlin, et les roquets sont en fête. » Il y a cependant une catégorie d’Allemands qui auraient bien tort d’être en fête : ce sont les princes régnans, et je ne doute pas que le prince-régent de Bavière ne fût très sincère quand il exprimait à M. de Bismarck le chagrin que lui causait sa mise à pied. C’est en diplomate que M. de Bismarck a fait la constitution allemande, et s’il a mené à bien ce travail, aussi compliqué que délicat, c’est qu’il s’est souvenu que la modération dans la violence était la marque distinctive de sa politique étrangère. Il s’est appliqué à concilier le principe de l’unité nationale avec les ménagemens dus à la dignité des petits souverains. Il a voulu que la maison ne leur fût pas trop désagréable, qu’elle ne ressemblât pas trop à une prison, qu’ils s’y trouvassent à leur aise, et à plusieurs reprises il a défendu leurs prérogatives contre les unitaires à outrance, tout en ajoutant qu’il ne savait pas trop ce qu’il en adviendrait quand il ne serait plus là. « Ce serait une grave erreur, a dit M. Bryce dans son beau livre sur le saint-empire germanique, que de regarder l’œuvre d’unification comme terminée et le nouvel empire allemand comme un État centralisé. Il convient plutôt de le considérer comme une fédération d’un genre particulier, étroite pour les petits États, mais pour les deux plus considérables, la Bavière et le Wurtemberg, extrêmement élastique. Jusqu’à quel point le fonctionnement d’une telle constitution peut être facile, c’est ce que l’expérience seule nous révélera. »
Cette constitution, somme toute, a bien fonctionné parce que le mécanicien qui l’avait construite était là pour la faire marcher. Mais il est possible qu’une machine où la symétrie n’a pas été observée, où la beauté des formes a été sacrifiée à certaines convenances, ne plaise qu’à moitié à un souverain idéaliste, qui aime à toucher à tout, et les princes allemands, pour peu qu’ils réfléchissent, doivent se demander avec quelque inquiétude si, parmi les amis qui le conseillent, il n’en est pas qui le pousseront à réviser la constitution ; si, parmi les idées qui lui sont chères, il n’en est point d’inconciliables avec leur dignité et leur repos. Guillaume II n’a jamais médité le proverbe afghan qui dit : « N’enfonce pas ton doigt dans tous les trous. »
M. Bryce a fait un remarquable et mélancolique portrait du jeune empereur qui, sous le nom d’Otton III, gouverna le saint-empire dans les dernières années du Xe siècle, et M. de Vogüé a cru trouver quelque ressemblance entre Guillaume II et ce jeune mystique, à l’âme généreuse, mais dont l’esprit de visionnaire, comme le dit M. Bryce, était trop ébloui par les magnifiques créations de sa pensée pour voir le monde tel qu’il est. Otton III était fort attaché à son précepteur, l'il-