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Rien ne manque à ce second acte : ni la gaîté, ni la poésie, ni la passion. Oh ! la délicieuse romance que soupire Ascanio, rêvant à Colombe entrevue ! Oui, romance ; le mot peut être ridicule ; mais il s’en faut que la chose le soit ici. A l’ombre des noires tours, dans le jardin plein de roses ! Il semble qu’on n’ait pas compris cette mélodie d’un sentiment vaporeux et d’une forme arrêtée cependant et définie. On lui a reproché (défendons-la même en pédant, puisqu’on l’a attaquée ainsi) de finir sur la tierce. Mais la valeur expressive et musicale de cette fin tient précisément à son incertitude. Là-bas passent mes amours ! Voilà les dernières paroles du jeune homme. Ces amours qui passent, Ascanio ne doit-il pas les suivre d’un regard qui se prolonge et se perd ?

Ici, dans cet atelier de Benvenuto, près de cette fenêtre ouverte aux rayons et aux parfums du printemps, devant la statuette ébauchée de la déesse de la Jeunesse, nous sommes au cœur même de l’œuvre. Là fleurissent, en des pages exquises comme les roses de la terrasse voisine, des sentimens délicats et purs. Voici pour Benvenuto l’heure de la solitude et du travail fécond. Il a renvoyé même son ami, même sa maîtresse. Il n’appartient plus qu’à la maîtresse idéale, l’invisible et pourtant la plus aimée. C’est d’elle que ce matin il parlait magnifiquement à Scozzone, et tandis qu’il médite, qu’il s’absorbe dans son rêve d’artiste, c’est le beau motif déjà signalé et admiré plus haut, le motif pour ainsi dire esthétique de Benvenuto qui revient, qui monte dans le silence, effluve impalpable, mystérieux avant-coureur de l’inspiration prochaine. Mais il faut au génie un modèle, et ce modèle, cette Hébé si longtemps cherchée, celle que ne pouvait être la fière Scozzone, Benvenuto l’a vue sortir un jour de l’église : c’est Colombe d’Estourville, et de ce logis, voisin de celui qu’elle habite, il l’a souvent contemplée. En ce moment encore il l’attend, il l’évoque ; à l’orchestre on dirait que peu à peu des voiles se dissipent, qu’une clarté se dégage et se répand, et dans l’atmosphère harmonieuse, la voici, la jeune déesse ; elle tient à la main quelques fleurs d’avril et sur ses lèvres flotte une mélancolique chanson. De la vision lumineuse, les rayons glissent jusqu’à Benvenuto ; ils l’inondent, ils réchauffent ; l’enthousiasme envahit son âme, et si dans ce crescendo haletant, dans le cri de triomphe qui le couronne, on ne trouve ni la passion ni le cœur, je ne sais guère où on les trouvera.

Les refusera-t-on encore, ces dons qui font une œuvre vivante, aux deux ardens duos qui suivent : l’un entre Benvenuto et Scozzone, l’autre entre Benvenuto et Ascanio ? Quelle insouciance, quelle brusquerie dans l’entrée de Scozzone, et comme le motif joyeux et tout en dehors qui l’accompagne, nous ramène par sa tonalité claire et ses brillantes sonorités, du rêve idéal à la passion humaine, aux réelles et