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Est-ce à dire, toutefois, que parmi leurs erreurs il ne se glisse quelques idées justes ; et, pour en louer la justesse, attendrons-nous qu’un chef-d’œuvre l’ait rendue publique ? Non, sans doute : et s’ils sont sincères, nous les féliciterons en premier lieu d’une admiration un peu confuse encore qu’ils témoignent pour les classiques. Toutes les fois que M. George Ancey juge les pièces des autres, il se réclame de Molière ; et je me rappelle que l’an dernier M. Charles Morice, dans un livre bizarre, que j’ai plusieurs fois cité, n’hésitait point à rendre aux grands écrivains du passé la justice que naturalistes et romantiques leur ont constamment refusée. Voilà qui va le mieux du monde ! à la condition pourtant qu’on les entende, ces classiques dont on parle ; qu’on ne les admire point pour ce qui leur manque, mais pour ce qu’ils ont ; et qu’on ne croie pas qu’ils aient épuisé, ni peut-être connu toutes les ressources de leur art.

Félicitons également les jeunes gens de vouloir, même au théâtre, une observation à la fois plus précise et plus large, plus scrupuleuse et plus aiguë. Ils n’ont pas tort, quand ils demandent qu’on subordonne l’intérêt des situations à la peinture des caractères ; qu’on simplifie d’autant l’intrigue ; et, — à la condition de ne pas oublier que l’action demeure la loi fondamentale du théâtre, — ils n’ont pas tort, quand ils demandent qu’on ne sacrifie pas tous les autres plaisirs que le théâtre comporte au seul plaisir de la curiosité. Depuis soixante ou quatre-vingts ans, nous en convenons volontiers avec eux, les moyens du vaudeville ont empiété sur ceux de la comédie ; et, combien connaissons-nous de drames, dont une inutile complication romanesque a gâté les plus belles parties ! Je n’en citerai qu’un seul exemple : c’est celui de Maître Guérin, dont nous avions l’occasion de parler ici même, l’année dernière, à pareille époque, et qui résistera peut-être à la lecture, mais qui certainement ne durera pas à la scène. Voilà des réformes utiles, et celui qui les fera triompher, nous pouvons lui répondre que le public le suivra.

Et en voici, je pense, une autre, qu’on ne s’étonnera pas que nous approuvions : c’est la séparation plus rigoureuse des genres. On ne veut plus de parties tragiques dans la comédie, ni dans la tragédie de parties comiques ou grotesques. Et, en effet, est-il bien vrai que dans la vie le comique et le tragique se mêlent aussi communément qu’on le disait jadis ? C’est une question ; et nous avons bien aisément adopté la réponse que le romantisme y a faite. Tragique ou comique, selon l’aspect sous lequel on la considère, la vie est rarement à la fois l’un et l’autre. Voyez plutôt, partout où l’on a essayé de mêler l’un à l’autre ces deux élémens disparates ou contradictoires, comme il serait facile d’en ôter l’un ou l’autre. A quoi riment, par exemple, dans le Mariage de Figaro, les deux ou trois scènes de mélodrame qu’y a intercalées Beaumarchais ? Et croyez-vous encore que Ruy Blas y perdît,