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Au fond, que représente-t-il, ce ministère ainsi fait ? C’est justement ce qu’il y a de plus difficile à éclaircir. Ce n’est plus l’ancien cabinet puisqu’il a perdu M. Tirard et même M. Spuller, victime des raisins secs, sans compter M. le garde des sceaux Thévenet, victime de son zèle contre la presse devant le sénat. Ce n’est pas non plus un cabinet sensiblement nouveau. Il n’est pas né d’une manifestation parlementaire sérieuse et décisive, puisqu’il n’y a rien eu de semblable. Il est, si l’on veut, modéré, avec M. Ribot, avec M. Develle ; il est aussi radical, si l’on y tient, avec M. Yves Guyot, avec M. Bourgeois. Il est radical et modéré tout à la fois avec M. de Freycinet. C’est une représentation nouvelle de ce qu’on a longtemps appelé la concentration républicaine. La déclaration que M. de Freycinet est allé porter aux deux chambres pour son avènement n’est, en définitive, que l’expression nuancée et artificieuse de cette situation.

Le nouveau président du conseil s’est hâté de rassurer l’esprit de parti en promettant de défendre, non-seulement les institutions républicaines, mais « l’ensemble de l’œuvre démocratique » accomplie par les dernières législatures. Il a en même temps fait un cordial appel à toutes les fractions républicaines, à toutes les forces, à toutes les bonnes volontés, sans distinction, sans esprit d’exclusion. Il a laissé entrevoir, comme une terre promise, « une république large, ouverte, tolérante et paisible. » Jusque-là on n’était pas plus avancé, on ne sortait pas de l’ambiguïté. Il a fallu, à la suite de cette déclaration, une escarmouche un peu vive, sinon pour préciser absolument la situation, du moins pour mettre à nu l’éternelle et irréparable équivoque cachée encore une fois dans la combinaison nouvelle. D’un côté, M. Lockroy, à demi satisfait, à demi inquiet, serrant de plus près ce ministère naissant, a vivement réclamé des explications ; il a nettement demandé à M. le président du conseil de déclarer qu’on ne toucherait pas aux lois scolaires, qu’on les interpréterait et qu’on les exécuterait avec fermeté, — qu’il ne serait rien ajouté non plus à la loi militaire, qu’il n’y aurait aucun amendement en faveur des séminaristes. C’était le point vif ! — D’un autre côté, M. Léon Say, affectant, non sans ironie, de répondre à l’appel cordial que M. le président du conseil avait adressé à tous les républicains, M. Léon Say, prenant position au nom des modérés, a dit à peu près au ministère : Nous vous entendons, nous ne demandons pas mieux que de vous croire ; vous aurez notre appui si vous poursuivez l’œuvre d’apaisement qui est dans les vœux du pays, si vous nous donnez la république libérale et tolérante dont vous parlez, si vous interprétez et exécutez les lois avec modération ; — si, en un mot, vous faites tout le contraire de ce que vous demande M. Lockroy ! — Entre M. Léon Say et M. Lockroy, M. le président du conseil a été peut-être un instant assez embarrassé ! Au fond, par