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pourtant qu’elle ait contenté tout le monde. Je ne parle pas des païens, qui naturellement lui furent très contraires ; mais parmi les chrétiens eux-mêmes il y eut, dès le premier jour, des oppositions et des résistances. Saint Ambroise était un des évêques de ce temps qui poussait le plus vers la vie religieuse. Il s’adressait surtout aux jeunes filles, et, pour les entraîner au célibat et à la retraite, il leur faisait des tableaux peu séduisans de la vie de famille, et s’étendait volontiers sur ce qu’il appelait crûment « les indignités du mariage. » Beaucoup de personnes en étaient blessées. « Ainsi, lui disait-on, vous ne voulez pas qu’on se marie ? » Et saint Ambroise avait quelque peine à s’en disculper. Parmi les réponses qu’il faisait à ce reproche, je n’en veux citer qu’une, parce qu’elle a rapport au sujet que je traite en ce moment. A ceux qui paraissent craindre que ce goût de la vie religieuse, qu’il veut inspirer, ne change l’empire en désert, il fait remarquer que les contrées qui fournissent le plus de vierges à l’église sont précisément les plus peuplées. Du reste, les objections qu’on lui oppose ne le troublent guère. Il a une façon aisée d’y répondre qui montre qu’il n’est pas inquiet de l’effet qu’elles peuvent produire. Il voyait les jeunes filles affluer à Milan pour recevoir le voile de sa main. « Il en vient de Plaisance, disait-il, il en vient de Bologne, et même de l’Afrique. » Ce qui explique cet empressement des jeunes filles, indépendamment de la parole ardente de saint Ambroise et des émotions religieuses qu’il éveillait dans les âmes, c’est que le couvent leur donnait ce qu’elles ne trouvaient pas toujours dans le mariage. Il nous semble une servitude ; elles le regardaient comme une émancipation. Il n’était pas dans les bienséances que la jeune fille choisît son époux. C’est l’affaire de la famille, et la loi ne lui donne le droit de le refuser que s’il est difforme ou de mœurs infâmes. Les deux fiancés ne se connaissent pas d’avance ; ils se voient pour la première fois le jour des noces. « Un cheval, dit plaisamment Sénèque, un âne, un bœuf, un esclave, on les examine au moins avant de les acheter. La femme est la seule chose qu’on prenne sans l’avoir vue. On a craint sans doute, ajoute-t-il, qu’on ne l’épousât jamais, si on l’avait vue auparavant. » En préférant la vie religieuse, la jeune fille échappe à cette contrainte ; elle dispose d’elle en liberté. L’esclavage du couvent lui paraît léger, parce qu’elle l’a volontairement choisi. Elle se plie sans peine à une règle à laquelle elle s’est soumise de son plein gré. Quelle que soit sa naissance, les services les plus rebutans ne lui coûtent pas. « Celles qui ne pouvaient souffrir de mettre le pied sur les pavés des rues, dit saint Jérôme, qui se faisaient porter en litière par les bras des eunuques, qui regardaient comme un fardeau une robe de