vouloir et devient incapable de dire non, trop heureux quand on ne l’oblige pas à dire oui hors de propos, à prendre des initiatives odieuses et douloureuses, à simuler, aux dépens d’autrui et à ses propres dépens, le zèle excessif et l’abnégation spontanée, à voter, par acclamations, des souscriptions patriotiques[1] dont il paiera lui-même la plus grosse part, et des conscriptions supplémentaires[2] qui saisiront ses fils exempts ou rachetés du service ! Il se laisse manier, il n’est qu’un rouage dans une machine énorme, un rouage qui reçoit son impulsion d’ailleurs et d’en haut, par l’intermédiaire du préfet. — Mais, sauf les cas rares où l’ingérence du gouvernement l’applique à des besognes violentes et oppressives, il reste utile ; engrené à sa place, s’il se réduit à tourner régulièrement et sans bruit dans son petit cercle, il peut, à l’ordinaire, rendre encore le double service qu’un ministre patriote lui demandait en l’an IX ; selon la définition que Chaptal donnait alors aux conseils généraux pour fixer leurs attributions et leur compétence, ils ont deux objets et seulement deux objets[3] : ils doivent d’abord
- ↑ Thiers. Histoire du Consulat et de l’Empire, XVI, 246 (janvier 1813). « Il suffisait de dire un seul mot au préfet, qui transmettait le mot à un des conseillers municipaux de son chef-lieu, pour qu’une offre fût faite par une grande ville et imitée à l’instant par tout l’empire. Napoléon imagina de se faire offrir, par les villes et les cantons, des cavaliers armés et équipés. » — Effectivement, l’offre fut votée par acclamation au conseil municipal de Paris : puis, par contagion, en province. Quant à la liberté du vote, il suffit de noter les offres des villes annexées qui, six mois plus tard vont se révolter. Leurs offres ne sont pas les moindres. Par exemple, Amsterdam offre 100 cavaliers. Hambourg 100, Rotterdam 50, La Haye 40, Leyde 24, Utrecht 20, Dusseldorf 12. — Les cavaliers fournis sont des hommes engagés à prix d’argent ; on en trouva 16,000, et l’argent voté suffit pour acheter en outre 22,000 chevaux et 22,000 équipemens. — Pour toucher cet argent, le préfet répartit lui-même, entre les plus imposés de son département, la somme requise, de 600 à 1,000 francs par tête. Sur ces réquisitions arbitraires et autres très nombreuses, en argent ou en nature, et sur les sentimens des cultivateurs et propriétaires dans le Midi, surtout à partir de 1813. cf. les Mémoires de M. de Villèle, t. Ier, passim.
- ↑ Comte Joseph d’Estourmel, Souvenirs de France et d’Italie, 240. « Le conseil général de Rouen imagina le premier de voter les gardes d’honneur. Réunis spontanément (on est toujours réuni spontanément), ses membres firent une adresse enthousiaste. « On trouva cela d’un fort bon exemple ; l’adresse fut insérée au Moniteur et le Moniteur envoyé à tous les préfets… On fit délibérer les conseils, qui disposèrent généreusement des enfans d’autrui, et de très honnêtes gens, moi tout le premier, crurent pouvoir concourir à cette indignité, tant le fanatisme impérial avait fasciné les yeux, faussé les consciences ! »
- ↑ Archives nationales (comptes de situation des préfets et rapports des commissaires généraux de police, F, 7, 3014 et suivans. — Rapports des sénateurs sur leurs sénatoreries, AF, IV, 1051 et suivans). — Ces papiers exposent aux différentes dates l’état des choses et des esprits en province. Le plus instructif et le plus détaillé de ces rapports est celui de Rœderer sur la sénatorerie de Caen et sur les trois départemens qui la composent. (Imprimé dans ses Œuvres complètes, t. III.)