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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/814

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pères, ainsi que ne manque jamais de dire le biblique auteur du Livre des rois.

Sa veuve, quoique très belle et encore fort jeune, ne songea pas à se remarier. Ce ne fut pas seulement par regret de son mari, bien que ce regret semble avoir été très profond, ou parce qu’elle pensa que la postérité qu’elle avait déjà mise au monde ne demandait aucun accroissement. C’est qu’elle était protégée contre les faiblesses propres à son sexe par cette ambition que, dès les âmes les plus reculés, le Zend Avesta avait reconnue comme la plus naturelle à toute femme d’un esprit sensé et d’un cœur pur, que la commère de Bath, des Contes de Cantorbéry, a présentée comme la secrète passion des dames dans un récit où la crudité des vieux fabliaux s’unit de la manière la plus amusante aux plus bizarres subtilités de la logique scolastique, et que Voltaire, modernisant Chaucer, a pris à son tour pour sujet d’un de ses plus jolis contes. Le portrait que trace sa fille de cette prude veuve est celui d’une mistress Poyser aristocratique. Elle aimait à être maîtresse de maison, et elle s’y entendait à merveille. Elle était experte dans l’art de passer des baux et des contrats, se connaissait aux choses de la volière, des basses-cours, de l’écurie et de l’étable, savait ordonner à ses intendans, et s’entendait si bien à diriger ses hommes d’affaires qu’elle ne se laissait jamais induire par eux en procès coûteux et en différends interminables. Elle menait haut la main et haut le ton ses serviteurs, sans leur faire sentir le mors, avec un mélange de défiance et de prudence très sensées, se refusant à être dupe par faiblesse et prenant toutes précautions légitimes contre les dangers de leur familiarité, facilement féconde en résultats fâcheux. « Ma mère était une bonne maîtresse pour ses serviteurs, prenant soin d’eux dans leurs maladies et n’épargnant aucune dépense pour leur guérison, et, dans leur bon état de santé, n’exigeant jamais d’eux plus qu’ils ne pouvaient faire avec facilité. Elle entrait parfois en colère, mais seulement lorsqu’elle en avait juste cause, par exemple contre des serviteurs négligens ou coquins qui gaspillaient sans nécessité ni mesure, ou qui détournaient les choses par larcins subtils. » Là où cet art de commander se montre avec tous ses avantages, c’est dans les rapports qu’elle avait établis entre ses enfans et ses serviteurs ; la page où Marguerite explique ces rapports mérite d’être citée et proposée aux réflexions de toutes les mères en tout temps et en tout état de société.


Nous fûmes accoutumés, dès l’enfance, à être respectueusement servis, chacun de nous ayant son serviteur particulier, et tous ses domestiques, en général, rendaient à ses enfans, même les tout à fait