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quant au nombre des membres, mais avec cette destination1 expresse de récompenser « les hommes qui se seraient particulièrement distingués dans les lettres, les sciences et les arts. » Pour ne citer que des artistes appartenant à l’Institut parmi ceux dont les noms figuraient sur les premières listes de promotion, Gérard, Regnault, Gros, Guérin, Bosio, Cherubini, Lesueur avaient été, sous le règne de Louis XVIII, créés chevaliers de Saint-Michel, en même temps que plusieurs de leurs confrères de l’Académie des Sciences et de l’Académie des Inscriptions[1]. Charles X, à son tour, en accordant, dès le commencement de son règne, cette haute distinction au sculpteur Cartellier, au peintre Carle Vernet[2], et un peu plus tard à l’architecte Fontaine, Charles X tenait à honneur de respecter, dans sa lettre comme dans son esprit, une institution d’autant plus profitable à la dignité de l’art et des artistes que, en raison même du chiffre fixé pour les nominations, elle était plus sûrement détendue contre l’invasion des talens médiocres.

Lorsque la révolution de Juillet eut brisé le trône de Charles X et, du même coup, détruit jusqu’aux institutions les plus inoffensives ou, comme celle dont nous venons de parler, les plus foncièrement libérales de l’ancienne monarchie, on pouvait craindre que les Académies elles-mêmes ne fussent au moins ébranlées par des attaques directes, conséquence toute naturelle, en apparence, des assauts livrés, et livrés victorieusement, ailleurs. Il n’y eut cependant rien de bien dangereux, ni même de bien sérieux, dans les sentimens d’hostilité témoignés alors et dans les entreprises tentées contre elles. En ce qui concerne l’Académie des Beaux-Arts, tout à peu près se borna à des articles de journaux où l’on ne faisait guère que reprendre, en les paraphrasant, les prétendus griefs formulés, quelques années auparavant, par les romantiques ; à des caricatures d’un caractère assez peu blessant au fond et d’un comique

  1. Aux termes des statuts primitifs, les insignes de l’ordre de Saint-Michel consistaient, comme ceux de l’ordre du Saint-Esprit, dans un collier porté par-dessus l’habit à la cour ou aux cérémonies publiques. Sous le gouvernement de la restauration, et même avant la révolution, on avait substitué à ce collier un grand cordon noir, passé en sautoir sur le gilet, et que les chevaliers ne devaient jamais quitter. La plupart d’entre eux pourtant s’affranchissaient de cette obligation en remplaçant, dans l’habitude de la vie, ce grand cordon par un simple ruban noir attaché à la boutonnière ; mais d’autres se montraient plus scrupuleux, et l’on pourrait citer un peintre célèbre qui avait poussé la conscience jusqu’à se faire fabriquer un cordon en métal, pour ne pas se séparer de ses insignes réglementaires, même quand il prendrait un bain.
  2. Dans cette séance royale de la distribution des récompenses, à la suite du Salon de 1824, dont le charmant tableau de Heim, aujourd’hui au musée du Louvre, a si bien consacré le souvenir.