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le parlement comme dans la nation, nul ne songera à gratter les éphémères écussons du frontispice de nos monumens publics. Ce sera peut-être pour le XXe siècle ; encore n’en sommes-nous point certains. Mais aujourd’hui, en 1890, au lendemain du centenaire de 1789, ce vœu de tout bon patriote a quelque chose d’ingénu. Il a contre lui l’histoire, l’expérience des cent dernières années, le tempérament de la France ; Nous sommes encore trop près de la révolution, et nous ne sommes pas assez sûrs d’en être sortis. Dans les îles volcaniques, où chaque génération a vu des tremblemens de terre tout renverser, on a peine à croire à la durée d’une maison, si solide semble-t-elle. Voici un siècle que la France n’a peut-être pas connu une heure où la légalité du jour fût acceptée de tous les Français, comme une loi définitive. Les révolutions ont enlevé la foi. Ce que n’a pu imposer le génie de Napoléon, au lendemain d’Austerlitz et d’Iéna ; ce que les cinq du Corps législatif refusaient aux huit millions de suffrages du second empire, après Malakof et Magenta ; ce que, de 1815 à 1848, les républicains ont obstinément dénié à la monarchie, dont les ministres s’appelaient Richelieu, Villèle, Guizot, Thiers, comment s’étonner si la république a de la peine à l’obtenir au sortir d’une mêlée où elle a failli tomber aux pieds d’un général, qui tenait plus d’un Arabi que d’un Bonaparte ?

Après tout, cette adhésion unanime de la nation, qu’a fait la république pour la conquérir ? Elle a remporté des victoires électorales ; cela ne suffit point. Pour fonder un gouvernement, c’est peu de vaincre le parti adverse ; le difficile, c’est de le gagner. Si les conservateurs font encore grise mine à la république, n’est-ce pas que la république n’a pas su les attirer ? Il est malaisé de se la représenter comme une mère aux bras ouverts, criant à tous les Français : « Venez à moi, vous tous qui êtes également mes fils ; il y a place, pour tous, sur mon sein maternel. » En vérité, tel n’a été ni l’attitude, ni le langage de la république, depuis que gouvernent les républicains. Comment s’est-elle présentée aux conservateurs ? Est-ce en amie ou en pacificatrice, le sourire aux lèvres, le rameau d’olivier à la main ? Non, c’est en virago irritée, la menace à la bouche, le casque ou le bonnet rouge sur la tête, la pique ou la hache à la main. Comment s’est-elle présentée aux catholiques ? Est-ce en protectrice de la foi, ou en défenseur de la liberté religieuse ? Non, c’est en libre-penseuse militante, en missionnaire voltairienne ou positiviste, le triangle maçonnique au cou, des catéchismes laïques sous le bras, un fouet dans une main, un trousseau de fausses clés dans l’autre, pour chasser les sœurs et déloger les moines. Avec de telles façons, c’eût été merveille si elle n’eût effarouché les conservateurs, race timorée, gens à préjugés,